France-Amérique : La BCE a annoncé un plan massif de rachat de dettes, près de 1 000 milliards d’euros, étalé jusqu’en 2016. Ces mesures sont-elles à même de relancer la croissance en Europe ?
Patrick Artus : Je n’en suis pas sûr. D’abord, l’injection de liquidités, c’est à dire la création de monnaie, va être relativement inefficace : en Europe, les banques européennes ont beaucoup de liquidités et les taux d’intérêt sont déjà historiquement bas. En 2008, quand la FED (Federal Reserve, la banque centrale américaine) lance sa politique dite de Quantitative Easing, après la faillite de Lehman Brothers, le marché des actions a baissé de 50% et les Etats-Unis font face à une gigantesque crise de liquidités. Dans ce cas-là, ce fut très utile. Mais la situation économique en Europe n’a rien à voir avec 2008.
Ce plan a également pour but de relancer la confiance…
Vous avez raison. L’objectif est que les acteurs économiques voient la reprise arriver, et que cela les incite à consommer davantage. Le problème est que les indicateurs et études dont nous disposons – notamment l’inflation anticipée, qui mesure les anticipations des consommateurs quant à la hausse des prix –n’ont pour l’instant pas réagi aux annonces de la BCE. L’impact le plus important est celui sur le taux de change. Depuis plusieurs mois, l’euro baisse car les marchés ont anticipé les mesures de la BCE. Une baisse de l’euro face au dollar favorise les entreprises européennes qui exportent. La devise européenne s’est dépréciée de 20% : une telle baisse représente 5% d’exportation en plus et 1 point de croissance supplémentaire pour la zone euro. Le plan de la BCE permet donc de maintenir cette tendance sur le marché des changes.
Certains dirigeants allemands estiment que les mesures de la BCE risquent d’inciter les « mauvais élèves » européens à ne pas faire les réformes nécessaires, en leur donnant l’impression que la BCE rachètera quoi qu’il arrive leurs dettes. Ces craintes sont-elles justifiées ?
Là-dessus, deux thèses s’opposent. D’un côté, certains considèrent que ces mesures vont pousser les Etats à ne pas réformer. Si je peux emprunter à 0%, pourquoi arrêterais-je de m’endetter ? A l’inverse, la BCE défend l’idée que le Quantitative Easing est un ballon d’oxygène donné aux Etats, pour permettre aux gouvernements de faire les réformes : il est indéniablement plus facile de réformer quand on a 2% de croissance que lorsqu’on est à 0%. Aujourd’hui, on n’a pas l’impression que les annonces de la BCE poussent les Etats à être laxistes : les lois Renzi en Italie ou la loi Macron en France le montrent bien.
La FED mène une politique de ce type depuis 2008, en n’hésitant pas à faire fonctionner la planche à billets. Comment expliquer que la BCE ait attendu 2015 pour faire de telles annonces ?
D’abord, il est important de noter que la FED ne pratique plus de Quantitative Easing. La BCE a mis du temps à prendre de telles décisions car elle a une culture très différente de la banque centrale américaine. En annonçant son plan, elle est passée outre un de ses grands principes : ne pas acheter de dettes publiques. D’ailleurs, cela a provoqué beaucoup de débats, notamment avec les Allemands. A l’opposé, la FED pratique une politique monétaire expansionniste depuis longtemps : elle achète des actifs pour injecter de la monnaie dans l’économie. Les annonces de la BCE représentent une rupture idéologique et culturelle considérable.
Les Etats-Unis sont en pleine reprise économique, avec des prévisions de croissance qui avoisinent les 3% pour 2015. La politique monétaire américaine a-t-elle été un facteur important de ce redressement ?
Vers 2010-2011, la politique de la FED a mis le pays sur le chemin de la reprise en menant une politique monétaire expansionniste. Depuis 2012, l’embellie n’a plus à voir avec la politique de la FED. On assiste à un redressement de l’économie réelle, avec une croissance considérable de l’investissement des entreprises, qui touche de plus en plus de secteurs, et pas seulement l’énergie : l’automobile, l’aviation, la métallurgie… Tout ça n’a plus de rapport avec la politique de la FED. D’ailleurs, quand la FED a stoppé les programmes de Quantitative Easing, on n’a vu aucun effet de ralentissement de l’économie américaine.
Croissance américaine, annonces de la BCE, baisse du prix du pétrole, plan Juncker pour l’investissement… Peut-on espérer une reprise européenne accrue dans les mois à venir ?
Il est vrai qu’en 2015, la croissance européenne sera vraisemblablement supérieure à ce qui était attendu. Quand on met côte à côte les facteurs que vous évoquez – auxquels vous pouvez ajouter la baisse de l’euro et des politiques budgétaires moins restrictives –, on arrive à une croissance européenne pour 2015 qui sera entre 1,5% et 2%. Le problème, c’est que ces éventuels meilleurs résultats sont dus à des facteurs extérieurs, et pas aux réformes structurelles ni au redémarrage de l’investissement des entreprises. L’embellie ne viendra que d’une série de chocs conjoncturels ; à 3 ou 4 ans, le scénario en Europe reste assez sombre. La question est ensuite de savoir si ces bons chiffres peuvent relancer l’investissement des entreprises. Pour l’instant, on n’en prend pas le chemin.
Alexis Tsipras, chef du parti Syriza, est devenu Premier Ministre en Grèce après la victoire de son parti aux élections législatives. Son élection est-elle susceptible de fragiliser la zone euro sur les marchés ?
Non. La dette grecque repose principalement sur des prêts européens faits par les Etats et l’Union Européenne à la Grèce. Cela n’affecte donc pas les marchés financiers. Plus globalement, tout le monde semble avoir compris que la Grèce était un cas très spécial et que ses problèmes datent d’avant 2008.
Tsipras souhaite que la dette grecque soit réduite… Est-ce souhaitable ?
Le problème de Tsipras est le suivant : d’habitude, quand un pays souhaite que sa dette soit réduite, il se met d’accord avec les créanciers qui s’entendent pour réduire la dette en échange de politiques négociées. En Grèce, Tsipras dit : réduisez ma dette, mais ne me donnez pas d’avis sur les politiques à mener ! Cependant, je ne pense pas qu’il y ait de risque systémique, les marchés ayant compris que le cas de la Grèce est indépendant du reste de la zone euro. Les inquiétudes politiques et économiques risquent plus d’arriver des élections espagnoles.