Facebook est-il mauvais pour la santé ?

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Le scandale « Cambridge Analytica », du nom de la société accusée d’avoir utilisé les informations personnelles de 50 millions d’utilisateurs de Facebook au profit de la campagne de Donald Trump, relance le débat : Is it time to #deleteFacebook ?

Vous êtes seul face à votre écran d’ordinateur. Vous accédez à internet, vous allez taper sur votre clavier. Vous vous croyez seul, dans l’intimité. A la rigueur, vous imaginez dialoguer avec un correspondant de votre choix. En vérité, il faut imaginer que vous êtes mis à nu sur une place publique, que tout ce que vous allez écrire et chercher va être connu et entendu de tous et que les traces de votre propos resteront inaltérables, à peu près ineffaçables, pour toujours.

Tout cela, nous le savons, mais nous l’oublions aussi vite : il est, en effet, très difficile de concevoir que nous n’avons plus véritablement de vie privée dès l’instant où nous téléphonons d’un appareil cellulaire ou accédons au web. Nous nous sommes également habitués à la gratuité de ces services : il n’existe plus de droit de timbre pour expédier nos messages, nos recherches sont gratuites, bien des divertissements sur nos écrans le sont également. Pour peu que l’on soit membre de Facebook, Twitter ou n’importe quel autre réseau social, l’accès au monde entier est tout aussi gratuit, en apparence. Nous lisons des journaux et des livres sur le web, le plus souvent sans payer ni les auteurs, ni les éditeurs : nous ne nous interrogeons plus sur cette gratuité d’apparence qui, dans un monde plus réglementé, devrait s’apparenter au piratage en haute mer.

Cette gratuité factice a cependant un prix : nous vendons aux opérateurs de ces moteurs de recherche et réseaux, notre personnalité, nos goûts, nos désirs, nos faiblesses, nos fantasmes. Les opérateurs collectent ces données, reconstruisent avec celles-ci notre profil personnel et revendent le tout à des marchands qui savent exploiter nos traits de caractère, voire à des agences politiques qui tenteront d’attirer nos votes au profit de tel ou tel candidat. Donald Trump a utilisé cette méthode, mais aussi les partisans et adversaires du Brexit en Grande-Bretagne et les services de propagande russe. En l’absence de contrat explicite entre nous-mêmes, internautes, et les exploitants de données, on ne sait pas trop ce qui est légal ou pas.

On m’objectera que le contrat existe : quand nous utilisons un moteur de recherche comme Google ou quand nous rejoignons la communauté Facebook, il est bien écrit quelque part en bas de l’écran que nous acceptons la règle du jeu, un pacte faustien par lequel nous renonçons à notre vie privée. Nous acceptons d’un clic, sans nous attacher aux détails et sans devoir signer avec notre sang. Même Méphisto est devenu virtuel. Et quand soudain nous sommes assaillis par des offres publicitaires qui nous ressemblent, nous sommes exaspérés. Quand on nous accable de messages politiques qui jouent sur notre sensibilité, nous sommes indignés : mais nous avons signé ce pacte virtuel avec le Méphisto virtuel. Est-ce grave et que faire ?

Il est certain qu’internet comme machine de propagande commerciale ou politique est efficace pour le marchand parce que beaucoup moins coûteux que les publicités imprimées. Sommes-nous plus manipulés par la publicité que nous l’étions hier ? Certains économistes et sociologues, dans les années 1960, John Kenneth Galbraith en particulier, laissèrent croire que nous étions devenus des jouets dans la main des publicitaires. Cette thèse démoniaque est aujourd’hui abandonnée : la publicité, quelle que soit sa forme, révèle nos désirs beaucoup plus qu’elle ne les crée. Les quelques études sur la campagne électorale de Trump montrent que Facebook était inondé de fausses nouvelles destinées à le favoriser, mais que les électeurs de Trump n’ont pas voté pour lui parce qu’ils consultaient Facebook. N’exagérons pas la puissance des médias sociaux, caisses de résonance plutôt que créateurs de sensations.

Que faire néanmoins ? On peut renoncer à internet, quitter Facebook ou Twitter. Mais on peut aussi renoncer au chauffage central et aux voyages en avion. A chacun de calculer le coût du renoncement à sa vie privée en contrepartie des nouveaux modes de communication. On peut aussi exiger que le contrat entre les opérateurs et les clients soit plus clair, mieux défini, avec des options comme pour une police d’assurance par exemple et des contre-indications comme pour un médicament.

On peut aussi et, surtout, nous discipliner nous-mêmes, apprendre à nous maîtriser quand nous utilisons les nouveaux médias, se rappeler sans cesse que la plupart des informations qui circulent ne sont pas vérifiées (ceci vaut aussi pour Wikipédia) et que tout ce que nous disons sera entendu, archivé et à peu près inaltérable. Ce dernier point est important : le droit à l’oubli, l’effacement de toutes nos données qui commence à être réglementé en Europe, devrait être simple et automatique, sur demande. On en est loin. Enfin et pour nos enfants, je suggère que sur chaque écran d’ordinateur, sur chaque tablette, sur chaque smartphone, figure en clair et en gras une mention « Attention danger ».

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