France-Amérique : Vous êtes franco-américain, entrepreneur et installé dans les Adirondacks, une région très rurale des Etats-Unis. C’est un profil original pour un représentant des Français de l’étranger…
Christopher Weissberg : Je crois que mon profil correspond à ce qu’est de plus en plus la mobilité internationale. Je suis un vrai binational, comme il y en a beaucoup dans la communauté française aujourd’hui. J’ai eu l’occasion de vivre en France, mais j’ai une identité très américaine, et comme je viens d’une région frontalière, j’ai aussi vécu au Canada. J’essaie de m’appuyer sur mon parcours pour toucher ces Français qui, généralement, sont assez éloignés des institutions nationales. Historiquement, ces institutions s’adressaient à un public d’expatriés, travaillant pour de grandes entreprises, pour le réseau consulaire ou pour l’enseignement du français. Or depuis de nombreuses années, on voit de plus en plus de gens qui ont étudié à l’étranger, qui y ont rencontré leur conjoint, qui ont fondé des familles souvent binationales et qui sont très bien intégrés localement. Mon projet de mandat est de m’adresser à ces personnes, qui constituent aujourd’hui la majorité des Français de l’étranger, tout en continuant bien sûr de m’occuper aussi des expatriés.
Quelles sont vos priorités vis-à-vis de ces populations ?
Mon premier objectif est d’aller toucher les parents qui ont un besoin éducatif, en donnant à l’ensemble des Français d’Amérique du Nord un accès à la langue française. Cela concerne à la fois les programmes bilingues locaux dans les écoles américaines, le développement d’écoles privées plus larges, comme les charter schools, et le réseau FLAM [Français Langue Maternelle, qui propose des cours de français aux enfants après l’école dans une vingtaine de villes américaines]. Il s’agit notamment de trouver un moyen d’encourager, là où il n’y a pas d’écoles bilingues, des cours du soir ou du samedi qui mettent les enfants dans un espace de sociabilisation en français. Ma deuxième priorité concerne l’accès aux services consulaires. Là aussi, nous avons un réseau bien développé, mais assez éloigné de l’ensemble des Français. C’est pour cela que nous travaillons sur la dématérialisation des demandes de passeports, qui est le service le plus demandé. Pendant longtemps, il fallait deux rendez-vous au consulat. Depuis quelques années, nous sommes passé à un seul rendez-vous avec un envoi par courrier et nous allons mener une expérience au Canada pour qu’il n’y ait plus du tout de rendez-vous physique. A terme, n’importe quel Français, qu’il vive à Kansas City, Sacramento ou Nashville, n’aura plus besoin d’aller au consulat pour renouveler son passeport, et nous voulons ensuite étendre ce fonctionnement à tous les documents consulaires. Cela permettra ainsi de libérer du temps pour que les agents accueillent le public qui n’a pas accès aux outils numériques, notamment les personnes âgées, et pour effectuer davantage de tournées consulaires.
Comment organisez-vous votre temps entre l’Assemblée nationale et votre circonscription, qui a la particularité d’être immense et très éloignée de Paris ?
C’est assez compliqué, parce que tous les Français voudraient que leurs députés aient le don d’ubiquité. Ils détestent voir l’hémicycle vide, et je les comprends, mais dans le même temps, ils veulent voir les parlementaires près de chez eux, même quand la circonscription est à 6 000 kilomètres du Palais Bourbon. En session parlementaire, je passe environ trois semaines par mois à Paris et une semaine dans la circonscription et hors session, je suis tout le temps ici. Mon objectif est d’aller partout, mais le territoire est vaste ! Depuis que je suis député, je suis allé au Québec, en Nouvelle-Angleterre, à New York, Philadelphie, Washington D.C., Houston, Austin, Salt Lake City, San Diego, Los Angeles, San Francisco, Portland et Seattle.
Emmanuel Macron se rendra en visite d’Etat à Washington fin novembre. Comment jugez-vous les relations franco-américaines, un an après les tensions liées à la crise des sous-marins et le pacte de défense Aukus entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ?
Les relations franco-américaines sont indispensables pour défendre le monde démocratique auquel nous aspirons. Face à l’émergence de pays qui n’ont pas un modèle démocratique comme le nôtre, l’axe entre l’Europe, les Etats-Unis et le Canada doit être particulièrement fort. Les liens entre la France et les Etats-Unis ont été énormément challengés ces dernières années, en particulier sous la présidence de Donald Trump, avec une remise en question du rôle de l’Otan ou des accords commerciaux. Et, dans la période post-Trump, il y a quand même eu un petit désaveu, lié à Aukus. Mais je crois qu’il faut relativiser ce point, en rappelant que les Etats-Unis ont toujours été à la fois de vrais partenaires stratégiques et de vrais concurrents commerciaux. C’est aussi vieux que l’histoire des relations franco-américaines : le Concorde n’a pas été un succès commercial parce que les Américains ont souhaité développer leur propre projet !
A la fin de cette année électorale, en France comme aux Etats-Unis, comment voyez-vous la situation politique de part et d’autre de l’Atlantique ?
Aujourd’hui, on observe des comportements politiques qui sont très similaires, l’émergence de mouvements populistes, illibéraux, qui remettent en cause nos modèles démocratiques et qui existent des deux côtés : à l’extrême droite avec Le Pen et Trump, mais aussi à l’extrême gauche avec une montée en puissance de la radicalité et des questions identitaires. La différence vient des modèles institutionnels, qui font que les Américains ont déjà eu Donald Trump mais que nous n’avons pas eu Marine Le Pen. Pour autant, je pense que Marine Le Pen se rapproche du pouvoir au moment où Donald Trump s’en éloigne peut-être. La France et les Etats-Unis font face aux mêmes défis : la concurrence internationale, le choc que la mondialisation a causé pour les populations, les menaces sur le modèle démocratique et le rapport à la réalité posé par les réseaux sociaux et par certaines chaînes d’information en continu… Des deux côtés de l’Atlantique, il faut développer nos économies en trouvant un système qui répartisse mieux les richesses et montrer aux populations que voter a encore un sens.