The Wordsmith

Le libéralisme malgré tout

Régulièrement accusé de tous les maux, le libéralisme semble pourtant – comme la démocratie – le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres.
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© Sylvie Serprix

D’un pays à un autre, le même mot peut avoir une signification différente. Aux Etats-Unis, être adepte du libéralisme, c’est se positionner à gauche ; en France, c’est se situer ou être catalogué dans le camp conservateur. Pour ne rien arranger, le terme est ambigu, évoquant tout à la fois une culture, un état d’esprit et une technique de gouvernement.

Tout a commencé avec l’adjectif « libéral » qui s’appliquait autrefois à une activité que l’on exerçait librement. Au Moyen Age, on parlait des « arts libéraux » pour désigner la grammaire, la rhétorique, la musique ou encore l’astronomie. On continue aujourd’hui encore de qualifier de « professions libérales » des métiers à caractère intellectuel (avocat, architecte, médecin…) pratiqués librement ou, à tout le moins, sous le seul contrôle d’une organisation professionnelle telle qu’un ordre.

Le néologisme « libéralisme » apparaît, lui, au début du XIXe siècle en Espagne, où il est revendiqué par les partisans du régime constitutionnel établi en 1812 par la junte de Cadix. Avant de se répandre dans les autres pays d’Europe à partir de 1815. Le premier à en donner une définition est le philosophe français Maine de Biran (1766-1824). Pour lui, il s’agit d’une « doctrine favorable au développement des libertés ».

Même si l’on n’utilisait pas le mot lui-même, le libéralisme est en réalité bien plus ancien. Probablement peut-on situer sa naissance en Grande-Bretagne au XVIIe siècle avant qu’il ne se développe dans l’Europe des Lumières au XVIIIe siècle. Idéologie de la bourgeoise montante, il émerge alors comme force d’opposition au féodalisme, aux privilèges de la noblesse et à l’absolutisme des régimes de droit divin. Parmi les plus notoires de ses théoriciens initiaux, on relève John Locke, Adam Smith, John Stuart Mill, Thomas Malthus et David Ricardo en Angleterre, et Jean-Baptiste Say, Benjamin Constant et Alexis de Tocqueville en France.

Autant qu’une doctrine, le libéralisme constitue un répertoire de valeurs qui se sont déclinées de manière différente selon les périodes et en fonction du contexte de chaque nation. Au premier rang de ces valeurs, on trouve la liberté individuelle, la tolérance, les droits de l’homme et le respect de l’Etat de droit. Encore faut-il faire la différence entre les registres économiques et politiques. Le libéralisme économique considère que la recherche du profit et la satisfaction de l’intérêt individuel sont les mieux à même de favoriser le progrès. Liberté d’entreprendre, liberté d’acheter et de vendre et bien sûr liberté de posséder en constituent le socle.

Pour ce qui est du libéralisme politique, il désigne un régime fondé sur la pluralité des partis, sur la liberté des citoyens de choisir leurs dirigeants. Si l’Etat a pour rôle essentiel d’arbitrer les conflits, son intervention dans la marche de l’économie doit être limitée au strict minimum. Si le libéralisme économique et le libéralisme politique sont si étroitement liés, c’est qu’ils s’appuient sur le même principe : les individus sont capables de faire des choix et la compétition entre eux est le vrai moteur du développement de la société.

Pour ses détracteurs, cependant, ce libéralisme se confond avec le capitalisme dans sa version la plus brutale, ne prenant en compte que les individus et ignorant les besoins collectifs. C’est pourquoi, pour répondre aux critiques récurrentes de la gauche social-démocrate et marxiste, les néo-libéraux consentent à une intervention – limitée – de l’Etat. Leur souci étant de prévenir un accroissement des inégalités sociales qui constituerait une menace pour l’ensemble du système économique et social.

Parallèlement, néanmoins, s’est développé un courant dit ultralibéral, refusant, lui, tout interventionnisme étatique qui freinerait l’initiative individuelle. Plus libéraux encore que les ultralibéraux, les libertariens défendent la liberté illimitée de l’individu. A la droite de la droite sur le plan économique, ils affichent toutefois des positions extrêmement progressistes sur les questions de société telles que l’immigration, le mariage homosexuel ou la consommation de drogues.

En réaction au modèle libéral triomphant, s’est constitué au fil des dernières décennies un courant de pensée qui remet en question les fondements de la démocratie à l’occidentale. Qualifiés, justement, d’illibéraux, toute une série de dirigeants dont le nationalisme exacerbé est le point commun entendent imposer leur propre modèle politique et social. De Vladimir Poutine en Russie à Recep Tayyip Erdogan en Turquie, en passant par Viktor Orban en Hongrie et Narendra Modi en Inde, ils n’ont de cesse de restreindre les libertés de la presse, d’assujettir l’entrepreneuriat privé, de mettre au pas la magistrature et de rogner les droits des minorités, qu’elles soient ethniques, religieuses ou sexuelles.

Conclusion ? Pour pasticher la célèbre formule de Winston Churchill sur la démocratie, le libéralisme semble jusqu’à ce jour le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres.


Article publié dans le numéro de septembre 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.