Nobel

La Franco-Américaine Esther Duflo Nobel d’économie

La Française naturalisée américaine Esther Duflo, professeure au MIT, fait partie des trois économistes récompensés du prix Nobel pour leurs travaux sur la lutte contre la pauvreté.
La Franco-Américaine Esther Duflo, professeure d’économie au MIT et lauréate du Prix Nobel. © Reuters

Trouver des solutions locales au problème global de la pauvreté. C’est le sacerdoce d’Esther Duflo, l’une des économistes les plus en vue de sa génération. Etudiante à l’Ecole normale supérieure dans les années 1990, elle terminait un mémoire sur l’économie soviétique lorsque Thomas Piketty, alors professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), lui suggère de s’installer aux Etats-Unis et de se tourner vers l’économie appliquée.

C’est un tournant dans la carrière et la vie d’Esther Duflo. Diplômée de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris et du MIT, où elle soutient en 1999 une thèse de doctorat intitulée Trois essais sur l’économie empirique du développement, elle travaille en Inde, au Ghana et au Kenya. Elle n’hésite pas à comparer son travail à celui d’un plombier. « Il faut arrêter de penser à la pauvreté comme un grand problème avec de grandes solutions », expliquait-elle au Nouvel Obs. « Si on demande au plombier de réparer toute la maison, on n’y arrivera pas. Mais s’il répare les fuites et que le toit est bien fait, on peut parvenir à quelque chose. »

Un engagement qui lui vaudra le prix de la Banque de Suède en sciences économiques, équivalent du prix Nobel. Esther Duflo est devenue, le 14 octobre dernier, la première Française – et la deuxième femme – lauréate. A 46 ans, elle est aussi la plus jeune.

L’économie à petite échelle

Professeure titulaire au MIT depuis 2004 et naturalisée américaine en 2012, la Française partage son prix avec les économistes américains Michael Kremer et Abhijit Banerjee, son conjoint. Co-fondateurs du Laboratoire d’action contre la pauvreté, ils sont les pionniers des « essais randomisés contrôlés », populaires en biologie mais rarement appliqués au champ de l’économie. En comparant deux groupes choisis au hasard, les chercheurs sont en mesure de juger de l’efficacité d’un programme humanitaire.

« Si on met en place un nouveau programme de soutien scolaire dans des écoles, on choisit 200 écoles au hasard, dont 100 mettront en place le programme et les 100 autres pas », expliquait Esther Duflo à l’AFP en 2010. Les progrès des élèves sont ensuite analysés et les résultats de ces expériences relayés auprès des pouvoirs publics et des ONG locales. Une expérience menée à Udaipur, dans l’ouest de l’Inde, a ainsi montré qu’une campagne de vaccination infantile a plus de succès lorsque les parents reçoivent une incitation – des lentilles dans le cas de cette étude. Le taux de vaccination atteignait 38,3 % dans le village test, contre 6,2 % dans le village témoin.

Conseillère d’Obama

Ces travaux vaudront à Esther Duflo le Prix du meilleur jeune économiste de France et son équivalent américain, la médaille Clark. Elle sera nommée en 2011 l’une des personnes les plus influentes au monde par le magazine Time. Deux ans plus tard, elle est élevée au rang de Chevalier de l’ordre national du Mérite et rejoint l’administration Obama en tant que conseillère sur le développement. C’est la consécration.

Elle co-rédige en 2012, avec son mari, le best-seller Repenser la pauvreté (Poor Economics: A Radical Rethinking of the Way to Fight Global Poverty), traduit en plus de 17 langues, et Good Economics for Hard Times, qui sera publié le 12 novembre prochain aux Etats-Unis par les éditions PublicAffairs. Le premier ouvrage déconstruit les théories, les caricatures et les clichés qui sous-tendent les programmes de lutte contre la pauvreté (Pourquoi les pauvres n’épargnent-ils pas quand ils le peuvent ? Pourquoi ne font-il pas vacciner leurs enfants ?) ; le second explique comme les sciences économiques peuvent apporter des réponses aux inégalités sociales de New Delhi à Dakar en passant par Paris et Washington D.C.

« Esther Duflo est un peu idéaliste », écrivait le New Yorker en 2010. « C’est une intellectuelle française de centre gauche qui croit en la redistribution et qui souscrit à la notion optimiste que demain sera peut-être meilleur qu’aujourd’hui. » Près de dix ans après, ces mots ne semblent plus si ironiques que ça.