Devenu citoyen américain il y a un an, après dix ans de démarches, me voici parvenu à l’étape ultime : célébrer Thanksgiving. Ne pas célébrer le quatrième jeudi de novembre serait ne pas être tout à fait américain, voire être clairement anti-américain.
Mieux qu’une carte verte, un passeport et le droit de voter, n’est-ce pas Thanksgiving qui consacre véritablement l’intégration dans la nation ? En termes culturels et spirituels, certainement oui. La preuve en est que c’est la seule fête, respectée par tous quelle que soit sa langue, sa culture ou sa religion. C’est le seul jour de l’année où la nation américaine met de côté ses différends et cesse d’être divisée. Autour d’un repas qui commence étrangement en milieu d’après-midi — so strange pour un Français habitué à passer à table dans la nuit —, nous ne sommes plus que des Américains et rien d’autre. On rêverait pour la France d’une célébration équivalente, où l’on se satisferait de n’être que français, sans haine ni préjugé envers quiconque. Mais pas de Thanksgiving ni de « Merci Donnant » en France.
Que célèbre-t-on au juste aux Etats-Unis ? Ce qui fut à l’origine une action de grâce religieuse, évangélique, tournée vers Dieu aux dépens des dindes d’Amérique du Nord, est devenu avec les siècles une célébration athée, mais demeure un peu spirituelle tout de même. Chacun, selon ses croyances, remercie son Dieu, ses parents ou ses voisins pour le privilège d’être américain. Le jour de Thanksgiving, les Etats-Unis sont implicitement perçus comme la Terre Promise — ce qu’ils devinrent pour les pèlerins, chassés de leur pays pour leurs convictions religieuses. La plupart des Américains ont oublié ou n’ont jamais connu les origines bibliques de la terre d’accueil qu’ils célèbrent, mais par cette célébration même, ils reconnaissent que l’Amérique est « exceptionnelle ».
Pour ceux qui ne se résolvent pas à massacrer les dindes, on sait qu’il en existe maintenant tout en soja, pour les végétariens. C’est tout aussi symbolique et tout aussi américain.