Les Français triomphent à Cannes, la Palme d’or à « Dheepan » de Jacques Audiard

« Dheepan » de Jacques Audiard, sur le parcours en France de réfugiés sri-lankais, a reçu dimanche la Palme d’or du 68e Festival de Cannes, qui a créé la surprise en mettant les Français à l’honneur, avec aussi des prix pour Vincent Lindon et Emmanuelle Bercot.

« Recevoir un prix de la part des frères Coen c’est quelque chose d’assez exceptionnel », a déclaré Jacques Audiard, 63 ans, très ému. « Je pense à mon père », le scénariste et dialoguiste Michel Audiard, a-t-il ajouté. Ce prix a été décerné alors que l’Europe est confrontée actuellement à une crise liée à un afflux de migrants venus d’Afrique et du Proche-Orient.

« Tout le monde était enthousiasmé par le film », a souligné Ethan Coen, co-président du jury, lors d’une conférence de presse. « La décision a été rapide », a-t-il dit. Elle a créé une certaine surprise puisque les films français, présents en force cette année dans la sélection avec cinq oeuvres, n’avaient pas convaincu les critiques.

Film d’amour et de violence, « Dheepan » raconte l’histoire de trois exilés, un ancien combattant des Tigres tamouls, une femme et une petite fille qu’il ne connaît pas. Ils fuient tous trois la guerre civile de leur pays en se faisant passer pour une famille. Ils vont chercher à démarrer une nouvelle vie en France dans une cité sensible de la banlieue parisienne en proie à la délinquance. « Dans Dheepan, il y avait une idée très revigorante: trois étrangers qui deviennent une famille (…) C’est quelque chose que je n’ai jamais vraiment vu traité de cette façon », a déclaré l’acteur Jake Gyllenhaal, membre du jury.

Deux Palmes françaises en deux ans

La dernière Palme d’or française avait été décernée en 2013 à « La Vie d’Adèle » d’Abdellatif Kechiche. Jacques Audiard avait déjà été récompensé à plusieurs reprises à Cannes, par le Prix du scénario pour « Un Héros très discret » en 1996 et le Grand prix en 2009 pour « Un Prophète ». Le président François Hollande qui a salué les lauréats a déclaré que « ces récompenses démontrent toute la diversité, l’ouverture et la créativité du cinéma français et l’efficacité et l’originalité de son mode de financement que je veux absolument préserver et défendre au niveau européen ». « La Palme d’or pour Dheepan de Jacques Audiard vient saluer un grand du cinéma français ! », s’est réjoui sur Twitter le Premier ministre Manuel Valls.

Pour la ministre de la culture Fleur Pellerin, « cette année encore, Cannes fut le reflet du monde, de sa dureté et de ses difficultés. Mais le cinéma qu’il a montré, par sa puissance évocatrice et sa créativité, traduit aussi la force de l’humanité à espérer et à dépasser sa condition ». Autre récompense pour le cinéma français, l’acteur Vincent Lindon, 55 ans, a reçu le prix d’interprétation pour « La loi du marché » de Stéphane Brizé, film cinglant sur la brutalité du monde du travail, dans lequel il interprète un chômeur de longue durée.

La voix brisée par l’émotion, l’acteur, ovationné par la salle, a chaleureusement remercié le réalisateur et dédié son prix « aux citoyens laissés pour compte », estimant que ce prix était « un acte politique ». L’actrice Emmanuelle Bercot, 47 ans, a reçu le prix d’interprétation féminine pour « Mon roi » de Maïwenn, ex-aequo avec l’actrice américaine Rooney Mara dans « Carol » de l’Américain Todd Haynes, romance entre deux femmes dans les années 50 avec Cate Blanchett. « Maïwenn, tu as cru en moi comme personne avant, tu m’as regardée comme personne avant », a dit Emmanuelle Bercot. Elle interprète dans ce film une avocate qui se souvient de la passion destructrice qu’elle a vécue pendant dix ans avec Georgio (Vincent Cassel), séducteur et beau parleur.

Nemes, Lanthimos et Hou Hsiao-Hsien

Le Grand prix a été décerné au film « Le fils de Saul » du Hongrois Laszlo Nemes, oeuvre choc sur la Shoah. Le film, qui raconte l’histoire d’un déporté juif forcé de travailler dans les chambres à gaz à Auschwitz, a impressionné par sa mise en scène radicale. Elle restitue l’horreur de la Shoah sans presque jamais montrer les victimes, par le hors champ et les bruits. « Ce continent est encore hanté par le sujet », a commenté le réalisateur en recevant son prix.

Le prix du Jury a été attribué au Grec Yorgos Lanthimos pour « The Lobster », fable grinçante et dérangeante sur la solitude, le couple et l’amour. Le prix de la mise en scène est revenu au cinéaste taïwanais Hou Hsiao-Hsien pour « The Assassin », histoire d’une justicière dans la Chine du IXe siècle, à l’esthétique ciselée.

Le réalisateur mexicain Michel Franco a reçu le prix du scénario pour « Chronic », portrait tout en retenue d’un infirmier, interprété par Tim Roth, totalement dévoué à l’accompagnement de patients en fin de vie. Autre surprise du palmarès, les trois Italiens – Nanni Moretti, Matteo Garrone et Paolo Sorrentino – sont repartis bredouilles.