Qui porte la responsabilité des ouragans Harvey et Irma, qui ont récemment ravagé les Caraïbes et le Golfe du Mexique ? Le réchauffement climatique ou l’urbanisation ? La Nature ?
Jusqu’au XVIIIe siècle, les désastres étaient attribués à quelque sanction divine — une tradition que l’on peut faire remonter au Déluge. Après avoir détruit la terre et les mers, Dieu s’engagea personnellement auprès de Noé à ne plus jamais détruire son œuvre. Depuis lors, nous survivons d’une catastrophe à l’autre, provoquée plus souvent par les hommes que par la Divinité. Le hasard a progressivement remplacé les explications mystiques. Ainsi, quand Lisbonne fut entièrement détruite par un séisme en 1755, Voltaire envisagea que la Nature n’était en soi pas totalement bonne et que la conjonction des éléments expliquait les séismes plus que les interventions divines. Alors naquit la météorologie, la première tentative scientifique pour non pas dominer le climat, mais en comprendre le fonctionnement et le prévoir à court terme.
Tant de pragmatisme, de rationalisme et de modestie ne pouvaient satisfaire éternellement les aspirations de nos contemporains à tout vouloir interpréter et maîtriser. C’est aussi que quelques astrophysiciens de l’Agence spatiale américaine, la Nasa, conçurent dans les années 1970 des modèles climatiques. Il apparut alors que certains gaz dits à effet de serre, comme le méthane et le dioxyde de carbone, contribuaient à réchauffer l’atmosphère. Si des taches solaires ou un déplacement de l’angle de la rotation de la Terre contribuent au réchauffement climatique, on ne sait pas, pour l’instant, les mesurer. La diabolisation du dioxyde de carbone par les climatistes n’est donc pas tant le résultat d’une démonstration pragmatique qu’une hypothèse, certes sérieuse, se concentrant arbitrairement sur ce que l’on sait appréhender et que l’on pourrait éventuellement contrôler. Cette perspective de maîtrise du climat est donc très satisfaisante pour l’esprit, en ce qu’elle fait reculer le hasard et confère à l’humanité une emprise possible sur son avenir climatique.
Ce rappel de ce que l’on sait et ne sait pas sur le réchauffement climatique, à l’intersection de la science et de l’idéologie (pourquoi « croit-on » au réchauffement ?) est un préalable indispensable pour commenter les ouragans qui ont récemment ravagé les côtes du Golfe du Mexique et les Caraïbes. On a lu et entendu des chroniqueurs audacieux attribuer ces ouragans et leur traînée de misère au réchauffement climatique. Certains parmi eux ont jugé Donald Trump coupable, puisqu’il n’a pas ratifié l’accord de Paris par lequel les Etats s’engagent à contenir leurs émissions de dioxyde de carbone. C’est beaucoup attribuer à Trump qui ne domine pas encore les ouragans. On notera aussi que les climatologues ont toujours nié la relation directe entre un désastre naturel local et la théorie du réchauffement. On répètera donc des évidences. Septembre est dans le Golfe du Mexique le mois des ouragans. En 1900, la ville de Galveston, à côté de Houston, fut totalement détruite par une tempête : 8 000 personnes furent noyées. Il n’y a donc rien de bien nouveau sous la pluie, sauf le développement des villes dans des régions autrefois jamais construites. Ainsi Houston est-elle bâtie sur un marécage et dès l’instant où l’on recouvre les anciennes voies d’eau et les lacs par du béton, la pluie ne s’écoule plus ; elle inonde les nouveaux quartiers. L’ouragan Katrina, en 2005, avait noyé les quartiers bas de La Nouvelle-Orléans, jadis non habités, tandis que la vieille ville haute fut sauvée.
Dieu, dans ces tragédies, a respecté son contrat, mais pas les descendants de Noé qui ne tiennent aucun compte de la Nature telle qu’on la connaît. La Nature, que certains écologistes déifient à la manière des païens antiques, n’est pas plus « responsable » : nul n’est supposé habiter un marécage ou une zone inondable. Au lieu d’accuser les spéculateurs de l’immobilier, il est évidemment plus confortable de s’en prendre à la Nature, au réchauffement climatique, à Donald Trump et à ceux qui doutent. Plus que des gesticulations politiques et médiatiques, se préparer aux prochains ouragans exigerait, avant même de réduire les émissions de méthane et de dioxyde de carbone, de se livrer à une autocritique sur l’implantation des villes au bord de la mer. Même le vieux Noé aurait compris cela.