Bilinguisme

Aux Etats-Unis, l’avenir de la langue française passe par le bilinguisme

De la Californie à la Floride, de l’Utah au Minnesota, l’enseignement du français n’a cessé de progresser aux Etats-Unis ces dix dernières années. Les programmes bilingues français-anglais se multiplient dans les écoles publiques américaines, grâce à des familles françaises et américaines convaincues des bénéfices du bilinguisme, et avec le soutien de politiques locales favorables à cet apprentissage.
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© iStock

La population française aux Etats-Unis a augmenté de 35 % ces quinze dernières années. Le profil des Français qui s’expatrient s’est diversifié. Hier, l’expatriation était synonyme de foyers aisés avec des Français détachés par leur entreprise. Les frais de leur vie quotidienne – logement, éducation des enfants – étaient le plus souvent pris en charge par leur employeur. La nouvelle génération d’expatriés est plus jeune, et plus précaire : pour eux, les établissements privés français, à l’enseignement de qualité mais aux coûts de scolarité exorbitants, ne sont pas toujours une solution envisageable. Soucieux de l’éducation de leurs enfants, certains Français ont décidé de prendre les choses en main et de créer des programmes d’enseignement pour répondre à leurs propres besoins.

A New York, le mouvement du bilinguisme dans les écoles publiques a commencé dés 2007, avec l’ouverture de la première classe d’immersion à Brooklyn. A la rentrée 2014, sept écoles publiques new-yorkaises dispensent des cours en français et anglais pour des élèves de primaire [P.S. 58, P.S. 84, P.S. 110, P.S. 133, P.S. 20 et P.S. 3], ainsi que l’école à charte (école publique gratuite gérée par le secteur privé) de Harlem, la NYFACS. Trois collèges proposent également des programmes bilingues depuis la rentrée de 2014 [M.S. 51, M.S. 256 et M.S. 88]. Un quatrième ouvrira à la rentrée 2015, la School for International Studies, qui proposera à terme un programme de baccalauréat international. « La crise et la hausse des prix du loyer à Manhattan conduisent les Français à emménager à Brooklyn et à s’accommoder des écoles publiques », explique Fabrice Jaumont, attaché à l’éducation de l’ambassade de France à New York et fondateur du site NewYorkInFrench.net.

L’expérience new-yorkaise

L’école publique de Carroll Gardens à Brooklyn, P.S. 58, est la pionnière de ce mouvement à New York. Elle a ouvert ses portes grâce à Education Française à New York (EFNY), une association de parents d’élèves. La méthode en deux temps d’EFNY a fait ses preuves et sert aujourd’hui de modèle : les parents démontrent aux directeurs d’école qu’il se trouve suffisamment de familles intéressées, puis l’ambassade intervient en seconde instance avec un appui logistique et politique qui rend crédible la demande des parents d’élèves. « Beaucoup de familles françaises ont constaté que la création de programmes bilingues portés par des groupes de parents rencontraient un grand succès à New York et se sont dit ‘Pourquoi pas chez moi ?’ », explique Fabrice Jaumont.

En partenariat avec le Downtown/Midtown French-English Dual-Language Program Parent Groups – qui regroupe quelque 150 familles, EFNY et la maternelle La Petite Ecole –, l’ambassade de France aux Etats-Unis a présenté en 2013 une feuille de route à tous les parents intéressés par la création de programmes bilingues. Un document disponible sur internet et régulièrement consulté. « Je reçois des appels de parents de tous les Etats-Unis et même d’expatriés français habitant dans d’autres pays étrangers : des familles italiennes et japonaises m’ont contacté car elles sont fascinées par la réussite des programmes bilingues français à New York », se réjouit Fabrice Jaumont. « J’essaie de les guider à distance, en m’adaptant à la logique de chaque Etat. »

La Californie suit le mouvement

Partie de la côte est, la vague du bilinguisme dans les écoles publiques atteint la Californie. A Glendale, dans la banlieue nord-est de Los Angeles, un programme porté par une mère de famille française, Muriel Gassan, a ouvert en 2012. Seul établissement à proposer un programme d’immersion en français dans une école primaire publique de la région, la Benjamin Franklin Magnet Elementary School attire de nombreux Français de Los Angeles, qui n’hésitent pas à faire une heure de trajet, matin et soir, pour conduire leur enfant à l’école. « Avant de présenter le dossier au school district de Glendale, j’ai pris contact avec parents et enseignants à l’origine des programmes bilingues à New York pour récolter des conseils », explique Muriel Gassan. Arrivée en 1998 à Los Angeles, cette native du Pays basque a d’abord créé en 2009 l’association Frenchip. Cette association a regroupé 150 parents souhaitant que leur enfant parle le français et l’anglais, mais dans l’incapacité de payer les frais de scolarité des écoles privées bilingues.

« Auparavant, les parents voulaient à tout prix suivre le programme de l’Education nationale française dispensés par les établissements privés parce qu’ils envisageaient de rentrer en France un jour », témoigne Muriel Gassan. « Aujourd’hui, ils sont nombreux à rester aux Etats-Unis et les bourses scolaires de l’Etat français ne sont plus suffisantes pour inscrire leur enfant dans le privé. » Le programme de Glendale accueille aujourd’hui 72 enfants, dont la moitié sont français. Cent cinquante familles sont sur les listes d’attente, preuve de l’engouement, mais également du manque de structures d’accueil. « Beaucoup de Français habitent dans l’ouest de Los Angeles, autour de Santa Monica », poursuit Muriel Gassan. « Certains d’entre eux ont déménagé à l’est pour pouvoir inscrire leurs enfants à Glendale. Il existe maintenant une forte communauté autour de l’école. » L’ouverture de ces classes d’immersion gagne toute la région. Une preschool d’immersion en français, Le Jardin des enfants, a ouvert ses portes au printemps 2014 à Glendale. Il s’adresse aux enfants âgés de deux ans et demi à cinq ans. Deux autres programmes bilingues en preschool pourraient ouvrir à la rentrée 2015 dans l’ouest de Los Angeles, où la communauté française est encore plus dense.

Dans le New Jersey, le Minnesota, le Colorado, l’Alaska, la Floride et la Géorgie, des programmes bilingues soutenus par des familles françaises et des consulats devraient éclore dans les années à venir. A Arlington, voisine de Washington D.C., Aude Rabault tente de créer un programme sur le modèle de ceux de New York. « Des familles françaises, canadiennes, belges, marocaines et américaines sont partantes ». Les motivations sont les mêmes que dans le reste des Etats-Unis. « Pour moi, le lycée privé Rochambeau [à Bethesda, dans la banlieue de Washington D.C.] n’est pas une option : trop cher et je ne reçois aucune aide de mon employeur pour payer les frais d’inscription. De plus, avec mon mari américain, nous n’envisageons pas de retourner en France et je ne pense pas qu’il soit indispensable que ma fille de trois ans suive le cursus français. En revanche, je regretterais qu’elle ne soit pas exposée à la langue française ailleurs qu’à la maison. Les programmes bilingues me semblent la solution idéale. »

L’Utah, nouvel eldorado du bilinguisme

Les Américains deviennent plus nombreux à percevoir les bienfaits de l’apprentissage d’une seconde langue dès le plus jeune âge. Beaucoup optent pour l’espagnol ou le mandarin, mais le français reste apprécié. Pour comprendre cet engouement récent pour le bilinguisme aux Etats-Unis, il faut se rendre dans l’Utah, deuxième Etat où le nombre d’enfants apprenant le français est le plus élevé du pays, après la Louisiane. Dans cet Etat, plus connu pour sa communauté mormone que pour ses écoles d’immersion, 3 000 élèves de 5 à 12 ans apprennent chaque jour le français. Parmi eux, moins de 10 % sont français. Ces chiffres étonnants résultent d’une politique éducative locale.

En 2008, le Sénat de l’Utah a voté la loi 80 intitulée Critical Languages Program allouant des fonds pour l’ouverture de programmes bilingues en chinois, espagnol et français. L’objectif était de lancer 100 classes d’immersion pour 30 000 enfants d’ici à 2015. Objectif atteint dès la rentrée 2014, puisque 118 programmes bilingues dont 14 en français [Plus de la moitié des programmes sont anglais-espagnol] ont été créés en six ans. « Depuis 2006, le gouverneur Jon Huntsman souhaitait développer l’apprentissage du mandarin et de l’arabe, des langues parlées dans les pays émergents », explique Gregg Roberts, coordinateur des programmes d’immersion pour le département d’éducation de l’Utah.

« Légiférer semblait être la meilleure voie pour créer une multitude de programmes bilingues. Au départ, il ne devait y avoir que le chinois et l’espagnol, mais ayant appris le français à l’école et étant convaincu que c’est une langue utile, j’ai demandé à ce qu’on intègre le français à la loi. » Pour Gregg Roberts, le bilinguisme est vital à la survie économique de l’Utah, un Etat qui n’a aucune frontière avec un pays étranger. « Le projet est d’éduquer nos enfants pour qu’ils soient compétents dans un monde global. A l’âge adulte, ils ne seront plus seulement en compétition sur le marché de l’emploi avec les étudiants californiens ou new-yorkais mais aussi avec les étudiants chinois et français ». A la mention des quelques sceptiques des programmes bilingues de l’Utah qui soutiennent que l’Etat a voté cette loi dans le seul but de favoriser le prosélytisme mormon, Gregg Roberts sourit. « Si cela avait été le cas, on l’aurait fait il y a des dizaines d’années. L’Eglise n’a rien à voir avec la création des programmes bilingues. Mais il est certain que la tradition de l’envoi de missionnaires à travers le monde a permis une meilleure compréhension des apports du bilinguisme auprès des parents de l’Utah. »

Pour Jean-Claude Duthion, attaché à l’Education de l’ambassade de France à Washington D.C., l’intérêt réel des habitants de l’Utah pour les langues étrangères a facilité le développement des programmes bilingues dans l’Etat. « Les enjeux sont ceux de l’Etat, pas ceux d’une communauté religieuse. L’Utah a seulement mis à profit l’expertise des Mormons sur l’enseignement des langues. Ce n’est pas un hasard si l’une des meilleurs écoles de langues est Brigham Young University, à Provo. » Selon lui, l’Utah et New York sont deux Etats modèles du bilinguisme aux Etats-Unis, bien que leur approche soit opposée. « A New York, ce sont des familles françaises qui ont approché des directeurs d’établissements publics en leur demandant d’ouvrir des classes bilingues. La demande venait d’en bas. A l’inverse, dans l’Utah, la demande vient d’en haut. L’Etat a compris que le bilinguisme était déterminant pour l’accès des élèves aux grandes universités et à des emplois compétitifs. Les deux méthodes sont des réussites. »

L’initiative de l’Utah, lancée il y a six ans, fait école aux Etats-Unis. Des responsables du département d’Education du Wyoming, de la Caroline du Nord, de l’Arkansas et du Rhode Island se sont rendus dans l’Utah pour étudier ces programmes bilingues et les copier. La Géorgie, un des premiers Etats à se renseigner sur ce modèle, a ouvert deux programmes bilingues en français à Atlanta à la rentrée 2013. Le Delaware a créé l’an dernier des programmes en chinois et en espagnol. « On espère que des classes d’immersion en français vont bientôt ouvrir », précise Jean-Claude Duthion. « Mais il faut prouver à l’Etat que beaucoup d’échanges économiques se font en français et qu’il existe un réel intérêt pour les jeunes Américains à apprendre cette langue. »

Le bilinguisme aide-t-il à penser ?

« Taught English by being taught English. » La proposition 227, adoptée en 1998 par la Californie et toujours en application aujourd’hui, visait sans les nommer les programmes bilingues anglais-espagnol. Craignant que les classes d’immersion en espagnol n’empêchent les immigrés hispanophones de bien parler l’anglais, l’Etat avait mis un frein aux programmes bilingues. Mais, les nombreuses études récentes vantant les bénéfices du bilinguisme ont remis en cause le maintien de la loi. Les Californiens devront se prononcer sur sa révocation le 8 novembre 2016, lors du vote pour l’élection présidentielle. Il est aujourd’hui admis que la flexibilité cognitive des enfants bilingues développe leur capacité de raisonnement, leur créativité et leur ouverture d’esprit. Il semble que le cerveau d’un enfant bilingue soit plus apte à faire plusieurs choses à la fois et à mieux hiérarchiser les informations.

Tout comme l’activité physique développe les muscles, l’apprentissage d’une seconde langue et sa pratique stimuleraient-ils la matière grise ? Une étude menée en 2011 sur 450 patients par Ellen Bialystok, professeure de psychologie de York University, à Toronto, a conclu que le bilinguisme retardait de trois à cinq ans les symptômes liés à Alzheimer. « Les patients bilingues ont été capables de mieux vivre avec la maladie », affirme-t-elle. Une autre étude, conduite en 2013 par l’Institut des sciences médicales de Nizam à Hyderabad en Inde et publié dans le journal Neurology, en est arrivée aux mêmes conclusions. « Parler plus d’une langue paraît induire un meilleur développement de la zone du cerveau responsable du raisonnement et de l’attention, qui pourraient contribuer à protéger les individus de la démence. »

Autant de bienfaits que les Américains, pragmatiques, apprécient. « Dans certains cas, l’intérêt pour le bilinguisme en français est lié à la réussite des élèves. Dans des villes comme Milton, Massachusetts, et Edina, Minnesota, les programmes bilingues sont proposés à des communautés de milieux favorisés. Grâce à ces programmes, de nombreux élèves ont des taux de réussite élevés aux examens et accèdent aux universités les plus cotées des Etats-Unis », révèle l’étude Révolution bilingue pour la communauté francophone de New York de Jane F. Ross, doctorante à New York University, spécialiste de l’héritage de la langue française, et Fabrice Jaumont. Selon cette étude, la réussite scolaire se vérifie à New York, où les écoles bilingues s’adressent à une communauté plus hétérogène. « Bien que confidentielles, [les statistiques] prouvent que les enfants enrôlés dans ces programmes double langue depuis la grande section maternelle ont atteint une moyenne de plus de 80 % lors des épreuves d’anglais et de mathématiques, moyenne deux à trois fois plus élevée que celle des enfants monolingues scolarisés dans les écoles de New York. »

Les limites de l’expansion du bilinguisme

Optimiste sur l’avenir du français aux Etats-Unis, l’attaché à l’Education de l’ambassade de France reste mesuré. « Vu de Paris, on croit que tout le monde veut parler le français aux Etats-Unis. Après l’article du New York Times sur la révolution bilingue à New York, la presse française affirmait que la langue de Molière était à la mode. Ce n’est pas le cas. On ne s’arrache pas encore des mains les dictionnaires français dans les librairies ! » La demande est tout de même exponentielle. Les listes d’attente pour les programmes bilingues ont atteint des records en 2014 : 500 familles n’ont pas pu mettre leur enfant dans une classe d’immersion en Louisiane, 150 à Glendale, 328 dans le comté de Montgomery, dans le Maryland.

Bien des obstacles freinent encore le développement des classes d’immersion en français. A Los Angeles, la Richland Avenue Elementary School espérait ouvrir un programme bilingue à la rentrée 2014. Mais le school district de Los Angeles a rejeté la demande de l’établissement, arguant que l’école ne pouvait prouver sa pérennité sur le long terme. Pour Muriel Gassan, qui a œuvré à l’ouverture d’un programme bilingue dans la banlieue de Los Angeles, certains districts sont plus difficiles à convaincre que d’autres. « A Glendale, il y avait des programmes d’immersion en coréen, italien et allemand. Le district, qui avait l’expérience des programmes bilingues, était très intéressé par l’ouverture d’un programme autour d’une nouvelle langue. » Autre district difficile, celui de Fairbanks, une ville de 32 000 habitants en Alaska, où la Française Magali Philip se bat depuis 2012 pour l’ouverture d’une charter school. « Le district de Fairbanks ne nous a jamais aidés à mobiliser les parents. L’Etat d’Alaska avait proposé de nous accorder un budget ridicule si nous n’avions pas au moins 150 élèves, ce qui est un chiffre impossible à atteindre pour une ville comme Fairbanks. Je garde espoir que les mentalités des gens sur le bilinguisme vont évoluer. » Dernière difficulté pour Magali Philip, trouver un professeur français certifié par l’Etat d’Alaska. « Quand vous êtes dans une grande ville, c’est plus facile d’attirer des professeurs français. Mais en Alaska… La solution serait qu’une loi soit votée comme en Utah. Cela permettrait l’envoi de professeurs de France. »

De fait, des accords ont été signés avec les académies de Bordeaux, Grenoble, Nancy-Metz, Créteil et Poitiers, permettant aux enseignants de ces académies d’être certifiés pour enseigner le français dans l’Utah. « L’Etat a mis ses réglementations administratives en cohérence avec sa volonté politique », se félicite Jean-Claude Duthion, attaché à l’Education de l’ambassade de France à Washington D.C. « On ne peut pas aller la fleur au fusil demander à une administration américaine de changer sa loi et d’autoriser les professeurs non certifiés et de forcer un partenariat avec la France. Seule une volonté politique du département d’Education de l’Etat peut faire évoluer la loi. Dans le district de Miami Dade, par exemple, des professeurs non certifiés sont autorisés à enseigner. »

Autre obstacle, la concurrence avec d’autres programmes de langues. A Fairfax, en Virginie, le programme d’immersion de l’école élémentaire Herndon va fermer ses portes en 2019, le temps que les élèves qui suivent actuellement l’enseignement anglais-français achèvent leur scolarité dans l’établissement. Le programme sera remplacé par des classes d’immersion en espagnol, malgré la mobilisation de parents francophones et américains pour sauver le programme en français. Une décision prise par la directrice, Ann Gwynn, afin d’adapter l’offre de son établissement à la demande de la communauté locale. Les enfants hispanophones, qui comptent pour 40 % de la population de l’école aujourd’hui, représentaient seulement 2,5 % des élèves inscrits en 1988 lorsque le programme français avait été lancé. Pour justifier sa décision, la principale s’est appuyée sur le fait que, lors des neuf dernières années, 46 % des élèves qui ont commencé le programme d’immersion en français ne l’ont pas poursuivi jusqu’à son terme : plus les élèves avançaient dans leur scolarité, plus les classes se vidaient.

Nombreuses sont les villes où le manque de fonds reste le principal obstacle à l’enseignement bilingue. « Les livres et les ressources coûtent chers. A P.S. 58, chaque enfant consomme cinquante livres par an. En l’absence d’un appui parallèle, un don, un fonds privé, les budgets des petits villes ne sont pas suffisants », explique Fabrice Jaumont. « A Brooklyn, on a pu créer ces programmes parce qu’ils aidaient des écoles en perte de vitesse, qui fermaient des sections monolingues parce que des familles partaient. Le programme bilingue ne remplaçait pas un programme monolingue. » L’ouverture de nouvelles classes permet d’augmenter le nombre d’élèves dans une école et offre la possibilité à l’établissement d’obtenir un budget plus conséquent du département d’éducation de l’Etat. « Avant l’arrivée des programmes bilingues, P.S. 58 avait 350 élèves. Aujourd’hui, l’école en compte 900 dont 300 inscrits dans le programme français. Mais il n’est pas toujours facile de convaincre les directrices que le français reste une langue utile. » A New York, avec 22 000 enfants francophones, 60 programmes bilingues supplémentaires pourraient être créés, estime Fabrice Jaumont. « Les services culturels de l’ambassade ont levé de l’argent pour acheter des livres, former des professeurs, organiser des séminaires de formation. Mais il reste à se tourner vers le privé pour continuer à développer les classes d’immersion. Il faut des mécènes qui croient au bilinguisme. »

Depuis quelques mois, l’attaché à l’Education de l’ambassade de France s’est lancé un nouveau défi : revitaliser le français dans des régions historiquement liées à la France. « La présence francophone est forte dans le Maine, même si elle est un peu oubliée. Il faut ramener la nouvelle génération vers le français », précise-t-il. Il souhaiterait aussi développer des programmes d’immersion en milieu rural à la frontière canadienne. « Je suis allé à Plattsburgh, au nord de l’Etat de New York, où j’ai vu des Québécois passer la frontière canadienne juste pour se rendre au mall. J’ai vu des clients parler français et des vendeurs qui ne comprenaient pas et qui répondaient en anglais. Si on extrapole ce genre de situation, on mesure le potentiel pour le bilinguisme. Dans cette ville, on voit déjà de nombreux panneaux en français et en anglais. La présence du constructeur aéronautique canadien Bombardier est aussi un argument pour développer des programmes d’immersion en français. »

Il reste à convaincre les Américains que le bilinguisme n’est pas réservé aux immigrés et enfants d’immigrés francophones. Que l’appui vienne d’un homme politique francophile ou de parents américains attachés à apprendre le français à leurs enfants, le développement massif de l’enseignement de la langue française aux Etats-Unis dépend avant tout des Américains.


Article publié dans le numéro d’octobre 2014 de France-AmériqueS’abonner au magazine.