Le Parlement européen a été incapable de se mettre d’accord sur le vaste accord de libre-échange en négociation avec les États-Unis, et a fini par reporter mercredi son vote sur ce projet, qui suscite de fortes craintes dans l’opinion publique.
S’il voit le jour, cet accord, connu sous l’acronyme « TTIP » ou « Tafta », vise à donner un coup de fouet à la croissance et de créer des emplois, en supprimant les barrières douanières, déjà très faibles, entre les deux blocs et à parvenir à une cohérence réglementaire .Les discussions ont engagées en juillet 2013. Mais ce projet suscite des inquiétudes au sein de la société civile et de la classe politique des deux côtés de l’Atlantique.
Les eurodéputés ne participent pas à cette négociation mais ils ont le pouvoir in fine de le rejeter, comme ils ne s’étaient pas privés de le faire en 2012 avec l’Acta, un précédent accord commercial contre la contrefaçon. Tout semblait prêt mercredi pour un vote sans encombre afin de prendre d’emblée une position commune: les principaux groupes politiques avaient scellé un compromis fin mai listant des « lignes rouges » à ne pas franchir pour que le Parlement puisse donner un jour son aval au TTIP.
C’était sans compter les craintes grandissantes que suscitent les mécanismes d’arbitrage envisagés dans le cadre de l’accord commercial, désignés par l’acronyme ISDS, pour régler les différends pouvant survenir entre États et investisseurs privés. Voulues à tout prix par les Américains, ces procédures, permettant de contourner les juridictions nationales, inquiètent dans nombre de pays européens.
Elles sont vues comme la porte ouverte à une remise en cause des politiques publiques par des multinationales. La plainte déposée en 2010 par Philipp Morris contre l’Uruguay, qui avait augmenté la taille des avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes, est souvent citée en exemple par les détracteurs de ce mécanisme.
Revirement des socialistes
Face à la contestation suscitée, le dossier est gelé depuis des mois. Pour débloquer la situation, la commissaire chargée du dossier, Cecilia Malmström, a proposé d’aller vers la création d’un tribunal international permanent pour régler les litiges liés à l’investissement et remplacer le mécanisme bilatéral jusqu’ici évoqué. Au Parlement, en commission du commerce, les socialistes, conservateurs du PPE (Parti populaire européen) et libéraux s’étaient entendus sur une formulation commune demandant des garanties sur le sujet. Mais les socialistes ont ensuite déposé un amendement qui a fissuré l’accord.
Ils ont demandé que soit clairement écrit que tout mécanisme faisant appel à une juridiction privée était écarté. « Nous avons reçu des messages de gens qui ont critiqué un manque de clarté », s’est justifié le socialiste allemand Bernd Lange, pour expliquer cette exigence. Agacé, le PPE, dont certains membres ont fustigé une « manœuvre » destinée à l’opinion publique, semblait dès lors prêt à voter contre la résolution si cet amendement était adopté.
Face au risque d’impasse, le Président du Parlement, Martin Schulz, a décidé de reporter le vote pour laisser le temps à un nouveau compromis de se dessiner. Dans la foulée, les eurodéputés ont aussi reporté le débat qui devait précéder le vote. « Ce dont nous avons besoin, c’est d’un texte fort du Parlement européen », a défendu M. Schulz. Un vote sans résolution commune au bout aurait vu l’assemblée « affaiblir son pouvoir » dans un domaine relevant de ses principales prérogatives, a-t-il soutenu.
« Panique au Parlement
Des parlementaires ont cependant reproché au président socialiste d’avoir voulu préserver l’image de la grande coalition unissant les principaux partis dans son hémicycle. « C’est panique au Parlement », a ironisé le Français Yannick Jadot (vert), un des plus virulents détracteurs de cet accord, qualifiant de « crapulerie politique » l’initiative de M. Schulz.
Les socialistes « prétendent se battre pour l’emploi, mais en retardant le vote sur TTIP, ils mettent en danger les emplois que va créer un accord de libre-échange », a pour sa part lancé Guy Verhofstadt, chef de file des libéraux de l’ALDE. Hormis la cristallisation sur les tribunaux d’arbitrage, les principaux groupes politiques, tous favorables au principe d’un TTIP, ont affiché leur refus d’une révision à la baisse des normes sanitaires, sociales ou environnementales européennes. Ils ont insisté pour qu’il permette une plus grande ouverture des marchés publics américains aux entreprises européennes.