Bon Appétit

Le premier « diner » américain de Paris

Dans le livre Pancakes in Paris, publié cette semaine, l’Américain Craig Carlson retrace son enfance dans le Connecticut, son arrivé à Paris et l’ouverture de Breakfast in America – le premier diner américain de la capitale.
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© Cédric Roux

La cuisine française est souvent considérée comme l’un des chefs de file de la gastronomie mondiale. Les gourmets des quatre coins du monde viennent savourer en France les meilleurs plats locaux. A la fin du classement, on retrouve les pays à la cuisine peu engageante : la Grande-Bretagne, l’Allemagne… et les Etats-Unis, moqués par les critiques comme un pays dont l’apogée culinaire fut l’invention du Big Mac.

Pourtant, attablé au diner Breakfast in America, transporté par son décor rétro rouge et blanc et par l’odeur d’une délicieuse assiette fumante de pancakes, la mauvaise réputation de la cuisine américaine ne semble pas justifiée. Craig Carlson, fondateur du premier diner à l’américaine de Paris, est de cet avis. Après avoir surmonté bien des obstacles – la bureaucratie française tant redoutée et la conversion des Parisiens à la cuisine américaine –, il peut se targuer d’avoir réalisé son rêve : devenir restaurateur dans la capitale française.

Son histoire est savoureuse, à l’image du célèbre sirop d’érable qu’il sert dans son restaurant. Fervent francophile et grand gourmand, il n’avait jamais imaginé se trouver un jour à la tête d’une franchise parisienne à succès. Avant le lancement de Breakfast in America, il exerçait le métier de scénariste à Los Angeles, essayant tant bien que mal de percer dans un milieu extrêmement compétitif. Son amour de la bonne chère lui vient de la cuisine de sa grand-mère Lizzy, notamment ses délicieux œufs brouillés, et son goût pour le mode de vie à la française, de ses séjours dans la capitale pendant ses études universitaires. Craig Carlson a aussi travaillé en tant que chargé de post-production pour la série télévisée Les Nouvelles Aventures de Robin des Bois.

Avant d’emménager en France, il parlait déjà couramment français : il s’est épris de la langue en l’étudiant à l’école et l’entretint lors de conversations imaginaires pendant ses rondes de distribution de journaux. Revenu aux Etats-Unis, nostalgique de Paris, il songe à ce qu’il pourrait apporter à la cuisine française : les pancakes ! Et décide de pallier cette absence en ouvrant un établissement à Paris. Breakfast in America était né. Avec l’ouverture en octobre dernier d’un troisième diner (une franchise), les affaires sont aujourd’hui florissantes. Mais la voie du succès n’a pas été de tout repos. Devenir restaurateur dans la capitale de la gastronomie n’a rien d’une sinécure. Craig Carlson l’a appris à ses dépens, après des erreurs à répétition et un chemin jonché d’obstacles.

En 2001, sa persévérance fut mise à l’épreuve par une série de complications mais Craig Carlson parvint à lever suffisamment de fonds pour ouvrir son restaurant. Il déposa un acompte pour un local dans son quartier de prédilection – le Marais – et s’apprêtait à entamer une nouvelle carrière de restaurateur. Mais le monde des affaires allait lui donner sa première leçon : ne jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Faute de prêt bancaire obtenu à temps, Craig Carlson voit son adresse lui filer sous le nez et perd une grande partie de son acompte.

© Breakfast In America

Cette expérience fut douloureuse, mais Craig Carlson voit aujourd’hui le bon côté des choses. Sa deuxième adresse, la demeure originelle de Breakfast in America rue des Ecoles, s’est révélée un meilleur emplacement que la première tant convoitée. Si Craig Carlson avait un conseil à donner aux restaurateurs en herbe, c’est de ne jamais trop s’attacher à un endroit en particulier. « Cela vous aveugle », dit-il. « Si vous perdez votre emplacement, en fin de compte c’est souvent pour le mieux. »

La période précédant l’ouverture du diner fut mouvementée. Craig Carlson a dû faire face à un architecte capricieux, supporter les absences répétées des électriciens et accomplir une mission quasi impossible : trouver du bacon américain de qualité en France ! Les choses sont finalement rentrées dans l’ordre à quelques jours seulement de l’ouverture du restaurant, le 4 janvier 2003.

Les premiers mois, les affaires ont été lentes mais stables et en constante augmentation. Mais l’aventure n’en serait pas une sans quelques rebondissements de rigueur : employés trop exigeants, voisins hystériques et système de plomberie désuet. Craig Carlson a surtout été confronté à une épreuve inattendue lorsqu’en mars 2003, à peine deux mois après l’ouverture de son diner, les Etats-Unis ont envahi l’Irak. Cette invasion réveilla dans toute l’Europe un antiaméricanisme virulent et Craig Carlson craignit que son établissement ne fasse les frais de cette animosité. A l’époque, le diner voyait en effet défiler chaque jour des manifestants de plus en plus nombreux.

L’angoisse de Craig Carlson atteignit son seuil critique lorsqu’une dizaine de manifestants entrèrent pour passer commande, ignorant qu’ils se trouvaient dans un établissement américain. Craignant qu’ils deviennent agressifs en réalisant où ils se trouvaient, Craig Carlson se préparait au pire lorsque l’un des manifestants lui demanda le nom du diner. Il lui répondit, prononçant avec prudence le mot « America ». Un silence gênant s’installa… avant que le groupe n’éclate de rire. Cette expérience rappela à Craig Carlson pourquoi il aimait tant la France : « Les Français savent faire la distinction entre la politique et la dimension personnelle. »

Curieusement, malgré le snobisme des Français à l’égard de la cuisine américaine, le menu de Breakfast in America fut accepté sans histoires par les locaux. Si le café américain – parfois qualifié de « jus de chaussettes » – servi à volonté a encore du mal à convaincre, le diner a su séduire sa clientèle avec une vaste sélection de délicieux petits déjeuners servis à toute heure du jour : œufs brouillés, bagels, sandwichs, wraps, hamburgers, mais aussi les desserts américains incontournables : cheesecakes, brownies et milk shakes. Les Français ont même exigé que le diner serve le « vrai hamburger » – un souhait que Craig Carlson s’est fait un plaisir d’exaucer. Son plus gros défi à présent ? Que ses clients français lâchent enfin fourchette et couteau pour déguster leur burger avec les doigts !

© Cédric Roux

A leurs débuts, les restaurants Breakfast in America étaient principalement fréquentés par des expatriés et des touristes américains. Aujourd’hui, les Français représentent près de 70 % de leur clientèle. La petite chaîne rencontre un grand succès auprès des étudiants qui apprécient de s’offrir un burger super B.I.A. (oignons grillés, poivrons, cheddar, sauce barbecue et bacon) à bon marché ou de siroter un milk-shake entre les cours. Priscilla Freschu, étudiante française, y déjeune une fois par semaine depuis trois ans. Elle ne sait jamais à l’avance ce qu’elle va commander et c’est bien pour ça qu’elle aime tant ce lieu : « Sucré ou salé : ici, on peut manger ce qu’on veut à n’importe quelle heure », s’exclame-t-elle après avoir dévoré son plat préféré, le « 2 x 2 x 2 » (œufs, pancakes et saucisse ou bacon). Elle s’est même convertie au café à l’américaine : « C’est du jus de chaussettes, mais c’est bon ! » Michelle Campbell compte aussi parmi les habitués du diner. Cette expatriée américaine, ancienne professeure de photographie à l’école de design new-yorkaise Parsons, se rend régulièrement chez Breakfast in America depuis huit ans. Elle vient y retrouver le goût de l’Amérique authentique : « J’adore la cuisine française, mais je préfère les pancakes aux crêpes ! »

Priscilla Freschu et Michelle Campbell apprécient la cuisine et la bonne ambiance du lieu. Elles ont été convaincues par la musique américaine old-school, le décor funky et la gentillesse du personnel. Un pan de culture américaine que Craig Carlson est fier de partager avec son pays d’adoption. En plus de jouer les ambassadeurs de la cuisine américaine en France, Breakfast in America satisfait les besoins de l’immense population d’expatriés américains à Paris. Pour le plus grand plaisir de sa clientèle, le restaurant célèbre chaque année Thanksgiving en servant tous les plats traditionnels. Et le diner associe parfois cuisine et politique : lors des élections présidentielles américaines de 2012, les clients avaient la possibilité de réaliser un vote gastronomique officieux, en choisissant son camp : le burger Obama ou l’omelette Romney. Craig a l’intention de répéter l’opération pour les prochaines élections. En quête d’inspiration, il réfléchit déjà aux plats qui correspondraient le mieux à Hillary Clinton et Donald Trump !

En attendant, il retrace son parcours – de son enfance dans le nord du Connecticut à la réalisation de son rêve dans la Ville Lumière – dans Pancakes in Paris, son premier ouvrage autobiographique, à paraître le 6 septembre 2016. La rédaction de ce livre était pour lui l’occasion de se remémorer ses choix et son coup de foudre pour la France. Mission accomplie : il n’a jamais été aussi épanoui : « Je ne serais pas moi-même sans ce côté français. Je ne pourrais pas choisir entre les dimensions française et américaine ; j’ai besoin des deux. Ce livre les a réunies. »

Aujourd’hui, avec le soutien de son époux Julien, Craig Carlson et Breakfast in America volent de succès en succès et préparent l’avenir. En ouvrant de nouvelles franchises, Craig Carlson souhaite continuer d’intégrer le meilleur de la cuisine américaine à la culture française – et s’exerce à reproduire un jour les fameux œufs brouillés de sa grand-mère !


Pancakes in Paris: Living the American Dream in France
de Craig Carlson, Sourcebooks, 2016.


Article publié dans le numéro d’août 2016 de France-AmériqueS’abonner au magazine.