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Cervin, des bas français aux jambes des Américaines

L’entreprise Arsoie, située au cœur du massif des Cévennes, est la dernière au monde à fabriquer des bas de soie comme dans les années 1950. Un savoir-faire unique qui a séduit les danseuses du Crazy Horse, l’effeuilleuse Dita Von Teese, mais aussi Beyonce, Rihanna et Katy Perry.
© Marc Evans/Cervin

En préparation de la cérémonie des Grammy Awards à New York, où elle s’est produite le 28 janvier dernier, la pop star Rihanna a acheté ses sous-vêtements en France. L’entreprise Arsoie, installée à Sumène dans le département du Gard, a réalisé la commande. « Nous lui avons envoyé vingt paires de bas en soie de couleur rouge, orange, rose et fuchsia », confirme Serge Massal, le directeur de la société. « Nos produits jouissent d’une excellente réputation aux Etats-Unis, où la mode des années 1950 et la lingerie vintage connaissent un regain d’intérêt. »

Il y a un demi-siècle, pourtant, la mode des bas avait quasiment disparu. Ce symbole de luxe et d’érotisme était tombé en désuétude, remplacé par le collant en nylon, moins cher et plus résistant, accessoire de l’émancipation des femmes. A Sumène, la production du fameux bas couture – reconnaissable à la ligne qu’il dessine sur l’arrière de la jambe – a cessé en 1965. La maladie du ver à soie et la concurrence des usines asiatiques ont précipité le déclin de l’industrie de la soie dans la région. Les filatures de soie (ou magnaneries), fleuron des Cévennes depuis le XVIIe siècle, ne se comptaient plus que sur les doigts d’une main à la fin des années 1990.

« Réinventer la féminité et la séduction »

Pour sauver la maison fondée en 1920 par son arrière-grand-oncle, Serge Massal s’inspire des créations de Jean Paul Gaultier et de Thierry Mugler. Le corset est de retour. Le jeune directeur commercial convainc alors son père de relancer la production de bas fully fashioned, popularisés par la pin-up, la femme fatale et l’actrice hollywoodienne. En 1999, les vieux métiers à tisser Reading sont remis en service. Conçus en Pennsylvanie et expédiés en France dans le cadre du plan Marshall, ces monstres de vingt tonnes et dix-huit mètres de long sont capables de tisser trente jambes à la fois.

Tissé à plat puis cousu à la main, le bas est plongé dans un bain de teinture liquide, enfilé sur une silhouette en aluminium puis chauffé à la vapeur pendant deux minutes pour stabiliser le fil. Durée de l’opération : une heure par paire (contre cinq minutes pour une paire de bas sans couture). Le procédé est long et coûteux, mais trace du talon jusqu’en haut de la cuisse cette ligne caractéristique. « C’est ce qui fait l’attrait de ce type de bas par rapport à un bas sans couture ou un simple collant », explique Serge Massal. Autre différence notoire : le tissage à plat assure une maille et une transparence constantes sur l’ensemble du bas. « Le résultat est plus sexy, plus glamour, plus féminin. »

Nouveaux coloris, nouvelles clientes

Le fil de soie provient maintenant de Chine, mais le savoir-faire des artisans reste inchangé. Douze employés sont affectés à la production : les femmes aux métiers, les hommes à la couture. Les bas confectionnés à Sumène et vendus sous la marque Cervin sont « des produits anciens avec un look moderne », souligne le directeur de l’entreprise. Les rééditions (modèle Belle Epoque, Havana ou Libération) jouxtent les créations contemporaines (Séduction, Tentation, Champs-Elysées). Les soixante articles du catalogue sont déclinés en une dizaine de coloris dont le rouge, le bleu et le fuchsia.

Comptez 25 euros pour une paire de bas Palace dont les motifs floraux évoquent les clips vidéo de Madonna et la lingerie des années 1980. Pour faire comme Rihanna, optez pour un modèle Belle Epoque bicolore : le bas est en soie orange et la bande jarretière en dentelle noire. Comptez 45 euros par paire. Pour fêter la Saint-Sylvestre ou aller danser chez Jay Gatsby, préférez une paire de bas Charleston, le modèle phare de la marque, vendu 99 euros. Un porte-jarretelles Boétie (58 euros) complétera l’ensemble à merveille.

Les articles cévenols sont jusqu’à quatre fois plus chers que ceux vendus dans les enseignes de la grande distribution comme Dim ou Victoria’s Secret. « On ne fait pas du tout la même chose », précise le directeur de l’Arsoie, classée Entreprise du patrimoine vivant. « Nous produisons les bas les plus fins au monde ; ce sont des articles haut de gamme. »

Un art de vivre recherché aux Etats-Unis

Outre la soie, qui représente un quart de sa production, la maison française tisse également le nylon et le polyamide de lycra. Pour diversifier son catalogue, elle dévoilera en mars prochain une collection de lingerie sans couture et de prêt-à-porter : culottes, nuisettes, jupes et chandails. Distribués jusqu’en 2011 dans près de 2 000 boutiques en France et à l’étranger, les articles Cervin sont aujourd’hui vendus essentiellement sur le net. Soixante-dix pour cent du chiffre d’affaires de l’entreprise (1,7 million d’euros en 2017) passe par le e-commerce.

Cervin conserve une vingtaine de boutiques à Paris, à Lyon, à Nantes, à Rennes et à San Francisco, où la marque est en rayon dans la boutique Les Cent Culottes. L’Arsoie exporte quinze pour cent de sa production aux Etats-Unis – l’équivalent de 45 000 paires de bas chaque année. « Notre présence sur le marché américain est appelée à croître dans les années à venir », commente Serge Massal. « Nos bas de soie véhiculent une image de la féminité et de la séduction qui plaît beaucoup aux Américaines. »