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Emmanuel Macron rêve de licornes

L’ambitieux président français Emmanuel Macron veut multiplier par cinq le nombre de start-up dont la valeur dépasse le milliard de dollars en France (surnommées "licornes"). Objectif : reproduire le modèle américain.
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Emmanuel Macron en 2018 à la Station F à Paris, l’un des plus gros incubateurs de start-up au monde. © Ludovic Marin/Reuters

Il en rêve à voix haute. Emmanuel Macron voudrait libérer les licornes françaises, les multiplier, en revendiquer vingt à vingt-cinq d’ici la fin de son quinquennat, contre seulement cinq aujourd’hui. Ces « licornes » n’ont bien entendu rien à voir avec l’animal légendaire. Au XXIe siècle, une licorne est une start-up dont la valeur dépasse un milliard de dollars.

La France n’en produit pas assez. Elle est loin derrière le Royaume-Uni, qui en aligne 25, la Chine 94 et bien sûr les Etats-Unis, avec un record de 182 licornes, les plus nombreuses et les plus connues ! Uber, Airbnb, Stripe, SpaceX ou Vice Media atteignent une valeur avec laquelle aucune des licornes françaises ne peut rivaliser. Le problème de la France – et de l’Europe – c’est presque toujours le pétrole, rarement les idées. De belles réussites se sont développées de ce côté de l’Atlantique : le co-voiturage avec Blablacar, le streaming musical avec le français Deezer et le suédois Spotify, la mise en relation entre entreprises et photographes avec Meero, la localisation en temps réel de ses amis avec Zenly (rachetée par Snapchat) et le jeu en ligne avec Voodoo. Toutes des licornes !

Des pépites françaises… rachetées par les Américains

La vraie difficulté, c’est de disposer de capitaux pour que ces entreprises grossissent et s’internationalisent aussi vite que leurs modèles américains. Signe des temps : il n’existe pas de mot en français pour traduire le terme « scale-up » (pour désigner des entreprises en plein croissance au stade post-start-up mais pré-licorne), adopté faute de mieux au grand dam des puristes de la langue française. Si les entreprises trouvent assez facilement le capital nécessaire à leur lancement, il est souvent impossible de trouver des investisseurs assez solides pour parier de gros montants, plusieurs centaines de millions d’euros, sur leur changement d’échelle.

C’est à ce stade qu’elles se font racheter, souvent par des groupes américains. Deuxième difficulté : l’Europe. Ce marché est riche de 513 millions d’habitants (avant le Brexit). C’est plus que les 327 millions des Etats-Unis, mais, 62 ans après le Traité de Rome, l’Union est encore divisée en 28 marchés, juridiquement et culturellement différents.

La France, une terre de start-up ?

Nous sommes à un tournant. Emmanuel Macron, bien décidé à faire de la France une « start-up nation », a donné les clefs du ministère en charge du numérique à l’un de ses proches. Né en France après que ses grands-parents ont fui la Corée du Nord, Cédric O a établi une liste de sociétés, le Next 40, un index des jeunes entreprises les plus prometteuses en France que l’Etat veut aider à grossir pour renouveler le CAC 40, l’indice français des valeurs sûres, dominé par des marques iconiques et historiques comme LVMH, Hermès, L’Oréal, Airbus et Total. L’Etat français interventionniste, encore et toujours ? Oui, mais il a procédé aussi à une réforme fiscale qui doit inciter les Français à investir en capital et à fournir des actionnaires durables au tour de table de ses licornes et futures licornes.

Autre bonne nouvelle : des capitaux plus disponibles et nombreux. D’abord parce que les taux historiquement bas incitent l’épargne à se diriger vers les fonds de capital-investissement. Mais aussi parce que les investisseurs américains sont de plus en plus présents en Europe. Naguère, les start-up européennes devaient s’installer dans la Silicon Valley pour profiter des fonds américains. Aujourd’hui, la Silicon Valley vient à elles. Quelques questions demeurent : la concurrence pour profiter des meilleurs « deals » qui pousse à la hausse les fonds investis dans les start-up américaines, produira-t-elle les mêmes effets en Europe ? Plus exigeants sur la rentabilité et le réalisme des plans de développements, les Européens deviendront-ils plus aventureux ?

La meilleure nouvelle pour les start-up tricolores est en Belgique. La France a envoyé à Bruxelles comme Commissaire en charge de l’industrie, du numérique, de la défense et de l’espace, un chef d’entreprise : Thierry Breton. Ancien patron de Thomson, d’Orange (alors France Télécom) et d’Atos, trois sociétés qu’il a fait entrer au CAC 40, ce physicien spécialiste de l’ordinateur quantique est bien décidé à redonner aux start-up européennes (et donc françaises) leur rang dans le monde. Sa mission, avec la Commission von der Leyen : unifier le marché européen pour permettre la naissance de vrais acteurs rivalisant enfin avec les Américains et les Chinois. Un sacré défi.


Article publié dans le numéro de janvier 2020 de France-Amérique.