Roxanne Varza, née à Palo Alto en Californie il y a 36 ans, a été choisie par le milliardaire français Xavier Niel pour diriger Station F, son immense incubateur ouvert au printemps 2017 à Paris. Un projet hors-norme, comme les aime le fondateur du fournisseur d’accès à Internet et opérateur téléphonique Free : 50 000 mètres carrés, un millier de jeunes entreprises hébergées, une trentaine de programmes soutenus par des grands groupes comme L’Oréal, Microsoft ou LVMH. Avec pour capitaine, une francophile au parcours atypique.
« J’adore la France et je me sens ici chez moi », confie celle qui a adopté la nationalité française il y a deux ans. Mais cette passion doit beaucoup au hasard. Née aux Etats-Unis de parents iraniens, réfugiés après la révolution de 1979 et naturalisés américains, Roxanne Varza se souvient que sa mère avait quelques livres en français, mais personne ne le parlait à la maison. Roxanne a eu un coup de foudre pour la langue française… dans une école californienne. « Tout le monde apprenait l’espagnol et moi je voulais faire quelque chose de différent. C’était au départ quelque chose d’un peu rebelle. Et puis j’ai découvert une culture et une histoire qui m’ont énormément intriguée. »
Suivront des études de littérature française à UCLA et une année d’échange à Bordeaux. De retour à San Francisco, elle décroche un premier job à l’Agence française pour les investissements internationaux (devenue depuis Business France). Son rôle : inciter les entreprises américaines à venir s’implanter dans l’Hexagone. C’est là qu’elle découvre le monde des start-up et des entrepreneurs, mais aussi les clichés sur les entreprises et les salariés français. « Je trouvais dommage qu’il y ait autant de French bashing sur l’entreprenariat en France, en particulier de la part des Français expatriés. »
Rédactrice en chef de TechCrunch France
Pas de quoi lui faire tourner le dos au pays qui la passionne : elle revient terminer ses études en Europe, par un double master à Sciences Po Paris et à la London School of Economics. En parallèle, Roxanne Varza crée un blog consacré à l’actualité des start-up françaises, TechBaguette. Grâce à lui, elle est repérée en 2010 par les responsables du site américain TechCrunch, alors incontournable sur l’actualité de la tech, qui lui proposent de prendre les commandes de la version française.
Elle cultive aussi son réseau en cofondant l’association Girls in Tech Paris, pour mettre en avant les femmes dans le monde très masculin des start-up. « Les choses se sont améliorées de façon impressionnante en quelques années. On est encore loin de la parité, mais on a beaucoup plus de femmes qui créent des start-up : à Station F, un tiers de nos résidents sont des femmes et cinq de nos programmes comptent au moins 45 % de femmes fondatrices », souligne-t-elle, en précisant que la France fait plutôt figure de modèle. « J’avais monté la même association à Londres et la réception a été bien meilleure ici. »
A la même période, Roxanne Varza importe aussi de Californie les conférences FailCon, où des entrepreneurs partagent en public leurs expériences et leurs erreurs pour dédramatiser l’échec, sujet longtemps tabou dans le monde de l’entreprise. « Là aussi, il y a eu un vrai changement de mentalité », estime-elle. Echouer est désormais vu comme un apprentissage nécessaire. « Environ 50 % des start-up meurent dans les deux premières années, mais c’est normal que ce chiffre soit élevé : pour avoir des start-up vraiment innovantes, il faut accepter de prendre des risques. »
De Microsoft à Station F
En 2012, elle est embauchée par Microsoft pour travailler à son incubateur parisien, dans le quartier du Sentier, où elle aide le géant du logiciel à investir dans des start-up françaises. Cette nouvelle étape durera trois ans, jusqu’à ce que Xavier Niel, qui l’avait remarquée quand elle écrivait pour TechCrunch, l’appelle à diriger Station F. « C’est la meilleure pour occuper ce poste, je n’en ai aucun doute », indiquait le magnat des télécoms dans un entretien au journal Les Echos en avril 2017, quelques mois avant l’ouverture de son gigantesque campus.
Elle y apporte notamment une parfaite connaissance de l’écosystème des start-up, des deux côtés de l’Atlantique. « Je pense que les entrepreneurs ont un peu le même ADN partout : ils sont très ouverts d’esprit, très optimistes, très créatifs et ils aiment trouver des solutions aux problèmes », explique-t-elle, tout en pointant une différence notable : « Aux Etats-Unis, les gens sont beaucoup plus transparents sur le fait qu’ils veulent gagner de l’argent. C’est un discours que l’on entend beaucoup moins en France – cela ne veut pas dire que les Français sont moins ambitieux, c’est juste que l’argent n’est pas leur motivation principale. »
Quatre ans après avoir ouvert ses portes, et malgré la pandémie de Covid-19, tout va bien pour Station F – F pour « France » ou « Freyssinet », du nom de l’ancienne halle ferroviaire de 1929 où est installé l’incubateur. « On accueille près de 1 000 personnes chaque jour. Cela peut sembler beaucoup, mais comme l’espace est immense, cela laisse assez de place pour chacun. » En plus des espaces de travail et des salles de conférence, le campus s’est enrichi en juin 2019 d’un immeuble, situé à dix minutes de la halle, où logent près de 600 entrepreneurs. « Seule la partie événementielle est à l’arrêt », indique Roxanne Varza.
La pandémie a eu une autre conséquence : elle n’a pas pu retourner aux Etats-Unis en 2020. « Cela fait plus de quatre ans que je ne suis pas rentrée en Californie. » Si au départ « seule [s]a famille [lui] manquait », elle reconnaît avoir un peu de nostalgie pour certains quartiers de San Francisco, comme Haight-Ashbury. « Je me dis que la ville a dû terriblement changer en quatre ans. » Mais c’est en France qu’elle se projette, sans trop savoir expliquer pourquoi elle se sent si bien dans son nouveau pays. « C’est une question que l’on vous pose quand on prend la nationalité française. Mais je n’ai pas vraiment de réponse, à part que je ressens un attachement profond à la France. On n’explique pas son amour ! »
Article publié dans le numéro d’avril 2021 de France-Amérique. S’abonner au magazine.