Peur de tout

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Un vent d’altérophobie souffle sur l’Europe. Exploités par les droites extrêmes, qui font du repli sur soi leur miel, la peur et le rejet de l’autre, puisqu’il s’agit de cela, enflent au fur et à mesure que les migrants et les réfugiés déferlent sur le Vieux Continent.

Ce ne sont pas les mots qui manquent pour désigner l’hostilité à l’égard de ceux qui sont étrangers ou différents. Sur le modèle de xénophobie ont été construits – entre autres –   judéophobie, islamophobie, christianophobie, mais aussi gynéphobie, androphobie, lesbophobie et même gérontophobie pour exprimer la haine ou la crainte des femmes, des hommes, des lesbiennes, des personnes âgées.

Couramment utilisés pour désigner des peurs irrationnelles, les mots formés avec les suffixes phobe, phobie, phobique (du grec phóbos, « frayeur ») ressortissent, en réalité, aux sciences les plus diverses. Certains, comme hydrophobie, décrivent une réaction chimique. En biologie, le terme halophobe (du grec halos, « sel »), par exemple, fait référence à un organisme qui ne tolère pas un milieu à forte salinité. Les médecins parlent de phonophobie lorsqu’un patient souffre d’hypersensibilité au son, de photophobie lorsque la pathologie touche à la lumière. Mais c’est la psychiatrie qui en fait le plus volontiers usage. Parmi les troubles psychologiques les plus connus, l’agoraphobie et la claustrophobie, c’est-à-dire la peur des espaces publics et celle des espaces confinés.

La liste des frayeurs suscitées par la présence ou l’idée d’un être, d’un objet ou d’une situation est sans fin. Elle va de l’acrophobie (peur de la hauteur) et la nyctophobie (la peur du noir) à la pyrophobie (la peur du feu) en passant par la mysophobie, la kénophobie, la gymnophobie, la brontophobie ou encore l’hylophobie (les peurs de la saleté, de l’obscurité, de la nudité, du tonnerre, des forêts).

On peut aussi être nosocoméphobe quand on a en horreur les hôpitaux, chorophobe lorsqu’on a peur de danser, asthénophobe si l’on craint de s’évanouir, émétophobe quand on est habité par la hantise de vomir. La glossophobie est la peur de parler en public, la sidérodromophobie celle de voyager en train, la stasophobie celle d’avoir à rester debout.

Vous avez les clowns en aversion ? Vous souffrez de coulrophobie. Les poupées vous révulsent ? Il s’agit de pédiophobie. Les tombes et les trous ? Vous êtes à la fois taphophobe et trypophobe.

On ne saurait passer  sous silence une angoisse récurrente que connaissent ceux qui, écrivains ou journalistes, placent l’écriture au centre de leur existence : la  leucosélophobie, le fameux syndrome de la page blanche.

Les animaux, on l’imagine aisément, sont l’objet de nombreuses craintes. Très courantes sont celles des araignées (arachnophobie), des serpents (ophiophobie), des souris et des rats (musophobie). Mais on compte aussi beaucoup d’ichthyophobes et de chiroptophobes (ceux qui sont effrayés par les poissons et les chauves-souris). Il arrive aussi qu’on ne supporte pas la vue d’un chat, d’un poulet, d’un oiseau. On est alors ailurophobe, alektorophobe, ornithophobe. Ceux qui connaissent un peu de grec et de latin n’ont pas trop de mal à repérer le sens de ces mots. C’est ainsi qu’ils comprennent tout de suite que la cuniculophobie est la peur du lapin (cuniculus en latin).

Des humoristes se sont amusés à enrichir la liste. Ils ont inventé l’eibohphobie, la peur des palindromes, le mot étant lui-même un palindrome – c’est-à-dire qu’il se lit indifféremment de gauche à droite et de droite à gauche en gardant le même sens. On leur doit aussi l’hippopotomonstrosesquippedaliophobie, la peur… des mots longs.

Les superstitions n’échappent pas à ce délire lexical. La triskaïdékaphobie est la peur du chiffre 13, l’hexakosioihexekontahexaphobie celle du nombre 666.

Régulièrement surgit un mot nouveau qui en dit beaucoup sur notre mode de vie actuel. C’est le cas de la nomophobie, qui vient de l’anglais nomophobia (pour « no mobile phobia ») et désigne la crainte d’être privé de son smartphone.

Les peurs irrationnelles sont, on le voit, parmi les troubles les plus répandus dans l’espèce humaine. La seule vraie question en fin de compte est de savoir lequel est le plus difficile à vivre. Ne serait-ce pas la pantophobie (la peur de tout) ? Ou la phobophobie (la peur d’avoir peur) ?

 

Chronique publiée dans le numéro d’avril 2016 de France-Amérique.