Trois fois par semaine, les lundis, mercredis et vendredis, les Louisianais peuvent écouter, sur la station locale KPVI, « La Tasse de café ». La particularité de cette émission ? On y parle le français de Louisiane. Cette émission de témoignages est présentée par Jim Soileau, qui discute sur les ondes avec ses auditeurs. Tous les sujets sont abordés, à l’exception de deux interdits : la religion et la politique locale.
« C’est une émission de souvenir », explique Jim Soileau. « Les auditeurs nous appellent pour qu’on discute ensemble de leurs années passées. » Cette émission est une institution : elle existe depuis les années 1960. « On parle cajun sur les ondes depuis 1954 sur KPVI », précise Jim Soileau. Et en plus de « La Tasse de café », des flashs d’information sont diffusés en français de Louisiane, deux fois par jour.
Perpétuer la tradition du cajun
L’objectif de Jim Soileau est assumé : perpétuer la tradition du cajun, que beaucoup disent en perdition. « Nous voulons que la langue continue à vivre en Louisiane », explique le présentateur. Le cajun a été introduit en Louisiane à la fin du XVIIe siècle, du fait de l’arrivée des premiers colons européens aux Etats-Unis. Il s’est depuis développé dans la région, malgré une reconnaissance pas toujours assurée par les pouvoirs publics.
Le français de Louisiane est proche du français que l’on parle dans les provinces maritimes du Canada, ainsi que de l’acadien. Il est facilement compréhensible par un Français de métropole, même si le vocabulaire varie parfois du tout au tout. « Ce que les Français appellent un coq, en Louisiane, nous appelons cela un ‘gaime’ ou un ‘corusse’ ! », s’amuse le présentateur.
Jim Soileau, 77 ans, est une figure locale de la francophonie. Retraité depuis quinze ans, il continue à animer son émission trois fois par semaine. « J’aime le cajun et j’aime la radio, c’est pour cela que je continue, malgré ma retraite ! » De sa voix de baryton, il passe avec aisance de l’anglais au français de Louisiane, avec un accent qui sonne entre le patois béarnais et ses « r » roulés et l’accent québécois. « J’ai appris le cajun avec mes grands-parents et mes parents, c’est une affaire de famille », explique-t-il. Et ajoute : « Je parlais français avant même d’apprendre l’anglais ! »
Le français de Louisiane en danger
Malgré son enthousiasme, Jim Soileau est préoccupé par l’avenir du cajun en Louisiane. Et pour cause : en 1990, 250 000 Louisianais le pratiquaient. En 2013, ils ne sont plus que 100 000. « C’est vrai qu’on voit mal comment enrayer cette baisse », déplore Jim Soileau. Il se désole : « Même les jeunes musiciens qui chantent en français ne comprennent rien à ce qu’ils racontent ! »
Des efforts sont pourtant faits par les pouvoirs publics locaux, dans le but de faire vivre le cajun. L’année dernière, par exemple, certains comtés de Louisiane ont obtenu l’autorisation de traduire en français de Louisiane leurs panneaux de signalisation… Des programmes bilingues sont également proposés dans plusieurs écoles. Preuve de ces efforts, La Nouvelle-Orléans demeure attractive pour les Français. En 2014, c’est même la circonscription consulaire qui a connu la plus forte croissance en termes d’accueil d’expatriés, avec un bond de 17,4 % en un an. Mais cela ne suffit pas à contrer cette baisse d’intérêt pour le français de Louisiane. « Il faut bien évidemment que les jeunes maîtrisent l’anglais, car c’est la langue que nous parlons tous », admet Jim Soileau. « Mais le français de Louisiane est constitutif de notre patrimoine culturel. »
Jim Soileau se voit-il continuer encore longtemps à assumer son rôle de passeur de témoin du cajun ? « Absolument, je souhaite continuer aussi longtemps que possible ! » Il voit son métier comme une nécessité : « Il faut vraiment que nous intéressions les habitants de Louisiane et la radio peut être un bon moyen pour cela. » Sa voix caverneuse n’est donc pas prêt de disparaître des ondes de KVPI. Une bonne nouvelle pour ses fidèles auditeurs, qui pourront ainsi continuer à se servir une « Tasse de café » trois fois par semaine.