1918, les coulisses du jazz en France

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Pendant la Première Guerre mondiale, les musiciens afro-américains stationnés en France popularisent une nouvelle forme de musique, un « ragtime syncopé » qui porte en lui les fondements du jazz. Une exposition organisée au New Orleans Jazz Museum jusqu’au 15 novembre 2018 revient sur cette période.

« Ici, le 12 février 1918, s’est joué le premier concert de jazz sur le sol européen. » C’est ce que proclame la plaque dévoilée sur la scène du théâtre Graslin de Nantes en février dernier pour commémorer le centenaire de l’événement. Pourtant, ce soir de février 1918, les cinquante-trois musiciens du 15e régiment de la garde nationale de New York* jouent tout sauf du jazz. Le programme inclut « La Marseillaise » et « The Star Spangled Banner », plusieurs marches militaires, des compositions de Verdi et de Wagner et quelques negro spirituals et mélodies de plantation arrangées par le chef d’orchestre James Reese Europe.

Aucun des vingt-cinq orchestres militaires afro-américains stationnés en France pendant la Première Guerre mondiale ne joue de jazz. Les musiciens professionnels suivent leur partition à la lettre ; aucune place n’est laissée à l’improvisation. Les sonorités qu’ils tirent de leurs instruments, cependant, sont résolument nouvelles. Les Français sont captivés par le suraigu de la clarinette, le rugissement sourd du soubassophone, la complainte du trombone à coulisse qui s’allonge.

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L’orchestre du 15e régiment de la garde nationale de New York joue un concert pour la Croix Rouge à Paris. © Michael Ochs Archives

« Ce qui a enthousiasmé les gens qui ont entendu ces orchestres », précise Daniel Vernhettes, l’historien du jazz qui a participé à la création de l’exposition à La Nouvelle-Orléans, « c’est le traitement rythmique, l’abondance de syncopes, les inflexions stylistiques, les growls et glissandi qui étaient appliqués à tous les morceaux, y compris les marches militaires ». Tout dans l’attitude de ces orchestres, qui comptent parfois une centaine de musiciens en uniforme, emprunte à la tradition des marching bands de La Nouvelle-Orléans.

L’influence des groupes amateurs

Les fanfares militaires noires américaines ont frappé l’imagination des Français, mais leur influence musicale reste modeste, nuance Daniel Vernhettes. Ces formations, qui jouaient lors des cérémonies officielles et dans les villes proches du front, n’ont touché qu’une faible part de la population. C’est l’explosion de petits groupes amateurs, composés de soldats noirs, qui popularisa le « ragtime instrumental » en France.

Loin du front, les recrues noires affectées dans les ports, les gares et les entrepôts occupent leur temps libre par la musique. De petits groupes informels, composés de musiciens amateurs et souvent illettrés, naissent au Havre, à Saint-Nazaire, à Brest, à Bordeaux, au Mans. Leurs membres reproduisent à l’oreille les morceaux populaires du moment, comme « Livery Stable Blues » de l’Original Dixieland Jass Band, enregistré en février 1917 et aujourd’hui considéré comme le premier titre de jazz. En novembre 1918, neuf soldats d’un régiment de pionniers affecté au port de Marseille forment le Receiving Station Jazz Band. Le groupe compte une batterie, un trombone, deux cornets, une clarinette, un violon, un banjo, une guitare et une contrebasse. La base du groupe de jazz moderne.

La naissance d’une culture « jazz » en France

Après l’armistice, les régiments noirs sont les derniers à rentrer aux Etats-Unis. Certains resteront en France jusqu’à l’automne 1919 ; ils participent à la reconstruction du pays et enterrent les morts. Ces petits groupes sont plus proches de la population civile que les fanfares militaires. Les Français sont rapidement attirés par cette « musique un peu folle qui se joue des règles harmoniques », commente Claus Walkstein, chercheur à l’université de Nantes et spécialiste du jazz, qui a aussi participé à la création de l’exposition au New Orleans Jazz Museum. Certains Français s’approprient le genre. Aux Arcs-sur-Argens, dans le Var, quatre musiciens forment le Popol Jazz Band. Sur une photo prise en 1919, ils posent dans la tenue brune des soldats américains !

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Le Popol Jazz Band — un orchestre français ! — en 1919.

Les 1 000 à 1 200 musiciens afro-américains passés par la France entre 1918 et 1919 ont initié les Français aux rythmes syncopés et aux envolées sonores, observe Claus Walkstein. « Sans eux, la culture musicale américaine ne se serait pas implantée de la sorte en France. Ces petits groupes noirs ont ouvert la porte aux grands du jazz qui arriveront en France à partir de 1925, Sydney Bechet et Josephine Baker en tête. »


*Pour son courage au combat, le 15e régiment de la garde nationale de New York — devenu le 369e régiment d’infanterie en mars 1918 — sera surnommé « les Harlem Hellfighters » lors de son retour aux Etats-Unis en février 1919.



Jazz en Route to France: 1917-1918

Du 21 juin au 15 novembre 2018
New Orleans Jazz Museum
400 Esplanade Avenue
New Orleans, LA 70116
www.nolajazzmuseum.org

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