C’est par la radio et la télévision que la grande majorité des Parisiens ont appris, dans la soirée du vendredi 22 novembre, l’attentat qui a coûté la vie au président Kennedy. Il était, en France, 8 heures du soir. En quelques instants, la nouvelle se répandit dans les cafés, les brasseries, les restaurants et, bientôt, dans les rues et sur les boulevards, d’abord accueillie avec incrédulité, puis avec stupeur, indignation et tristesse.
Dans l’ensemble, la première réaction de l’homme de la rue a été le scepticisme: « C’est une blague, non ? Si c’est un canular, ce n’est pas drôle… » Mais bientôt, il fallut sa rendre à l’incroyable et horrible évidence : Kennedy, ce chef d’Etat si jeune, cet homme en pleine force, le président des Etats-Unis, avait été abattu d’un coup de fusil dans une ville du Texas !
Ruée sur les journaux
En moins d’une heure de temps, les grands journaux du soir sortaient des éditions spéciales. Un titre immense en barrait la première page : « Kennedy assassiné ! » Sur les Champs-Elysées et sur les grands boulevards, les kiosques étaient pris d’assaut par des centaines d’hommes et de femmes, commentant l’évènement avec stupeur. Dans les cafés, on s’entassaient devant les postes de télévision pour suivre les émissions supplémentaires donnant les dernières informations de Dallas et de Washington.
Dans les théâtres et les cinémas, la nouvelle s’était rapidement répandue. Beaucoup de gens quittèrent les spectacles pour rentrer chez eux et ouvrir leur poste de télévision. Avant minuit, des éditions spéciales du New York Times et du New York Herald Tribune étaient en vente sur les Champs-Elysées, leur première page bordée de noir. Alors que les jeunes étudiantes aux chandails jaunes ou bleus qui vendent l’édition parisienne de ces quotidiens doivent, d’habitude, solliciter les consommateurs aux terrasses, elles étaient assaillies, et bientôt démunies de leurs journaux, dès qu’elles apparaissaient sur les trottoirs.
Le général de Gaulle apprend la nouvelle
Au palais de l’Elysée, le général de Gaulle venait de s’entretenir quelques instants avec ses principaux collaborateurs, comme il le fait chaque soir, lorsque le secrétaire général de la présidence de la République, M. Etienne Burin des Roziers, apprit par un coup de téléphone la nouvelle de l’attentat. Il se rendit immédiatement dans les appartements privés où le Général s’était retiré, et lui en fit part.
Le général de Gaulle retourna dans son bureau, se faisant porter les dépêches au fur et à mesure de leur arrivée. Dès qu’on eut annoncé le décès du président Kennedy, il resta seul dans son cabinet de travail. La déclaration qu’il rédigea immédiatement témoigne de ses sentiments : John Kennedy, « mort comme un soldat, sous le feu, pour son devoir et au service de son pays », ne pouvait recevoir un hommage plus éclatant.
Le chef de l’Etat rédigea ensuite, sans plus attendre et de sa propre main, deux autres messages à Mme Jacqueline Kennedy et au président Lyndon Johnson.
A l’ambassade des Etats-Unis
A l’ambassade des Etats-Unis, en pleine nuit, la plupart des fenêtres étaient éclairées. L’ambassadeur Charles Bohlen, qui avait pris dans l’après-midi la route de Strasbourg, avait fait demi-tour lorsque la radio de son automobile lui avait appris l’effroyable nouvelle.
Dans une déclaration qui devait être remise à la presse le lendemain matin, M. Bohlen s’exprime en ces termes : « Je suis profondément bouleversé en tant qu’Américain et ami par la mort du président John F. Kennedy. Ses qualités d’intelligence, de courage et de compréhension lui vaudront certainement de compter parmi les hommes d’Etat les plus illustres. En cette heure tragique, toutes nos pensées vont à sa famille. Je tiens à exprimer ma gratitude au peuple français, et plus particulièrement au président de la République française, pour la sympathie qu’ils nous manifestent. »
Devant le bâtiment principal de l’ambassade, avenue Gabriel, plusieurs centaines de personnes s’étaient agglomérées. Les visages étaient graves, beaucoup d’Américains ne pouvaient refouler leurs larmes. Chacun s’interrogeait sur les mobiles de l’attentat. S’agissait-il de l’œuvre d’un fou ? Est-ce la position prise par le président Kennedy dans le conflit racial qui lui avait coûté la vie ? Si ces questions demeuraient sans réponse, la plupart des Américains présents ne dissimulaient pas leur rancœur contre les services de sécurité qui n’avaient pas su protéger leur président. Maintenant que la mort, hélas, avait fait son œuvre, ils se demandaient ce qu’en seraient les conséquences.
Les drapeaux en berne
Dès samedi matin, 23 novembre, Paris a mis ses drapeaux en berne. Geste d’amitié exceptionnel, puisque d’ordinaire, ce n’est que le jour des obsèques nationales des chefs d’Etat des nations amies que ce rite est observé. Dès le matin, à l’Elysée, le général de Gaulle avait ordonné de placer les couleurs à demi mât. La même décision fut bientôt prise pour tous les drapeaux des ministères, de tous les édifices publics, des gendarmeries, des postes de police, des écoles. Les ambassades étrangères suivirent cet exemple.
A la fin de la matinée, on comptait plusieurs milliers de personnes place de la Concorde, près de l’ambassade des Etats-Unis. Un service d’ordre avait été mis en place devant la grille d’honneur que franchissaient les voitures du corps diplomatique. Le grand hall de l’ambassade était noir de monde. Déjà, le cahier des condoléances, placé dans les salons du rez-de-chaussée, près d’une photographie voilée de crêpe du président Kennedy, était couvert de milliers de signatures.
A chaque instant arrivaient un ambassadeur ou des personnalités politiques françaises. Ils étaient immédiatement conduits au premier étage, où l’ambassadeur Charles Bohlen les recevait. Partout, des drapeaux étoilés étaient recouverts de crêpe noir. Dans l’après-midi, un cortège de 3 000 étudiants de toutes nationalités, discrètement canalisé par le service d’ordre, vint signer le registre des condoléances.
A l’église américaine
Dimanche, 24 novembre, un service à la mémoire du président Kennedy été célébré en l’église américaine de Paris [dans le 7e arrondissement], en présence de l’ambassadeur Charles Bohlen, de M. Thomas Finletter, représentant du gouvernement américain auprès de l’OTAN, et du général Lyman Lemnitzer, commandant suprême des forces alliées en Europe.
Le pavillon américain qui flotte au-dessus du porche principal était en berne. Une centaine de personnes qui n’avaient pu entrer dans la nef se pressaient devant chaque entrée. Douze mille personnes environ remplissaient l’église. Certains, pour la plupart, des membres de la colonie américaine de Paris, mais aussi des Français et de nombreux attachés.
Dans l’assistance, beaucoup de femmes pleuraient. Le visage grave, le boxeur Sugar Ray Robinson déclarait à la sortie : « J’ai été bouleversé par la mort du président. C’était un homme de courage, sans doute l’un des plus grands hommes politiques de notre temps. »
Proposition pour une rue Kennedy à Paris
Au lendemain de l’assassinat du président Kennedy, le 23 novembre, Mme Janine Alexandre-Debray, conseiller municipal de Paris, a déposé au bureau de l’Hôtel de Ville une proposition pour que « le nom de John F. Kennedy, défenseur des libertés essentielles de l’Homme et mort pour elles », soit donné à une rue de Paris. Cette proposition sera examinée dès cette semaine. Habituellement, il faut attendre cinq ans après la mort de la personne qu’on veut honorer pour qu’une telle proposition puisse être reçue. [Précisément 75 jours après cette proposition, par l’arrêté municipal du 6 février 1964, le quai de Passy, dans 16e arrondissement, était renommé « avenue du Président-Kennedy ».]
Article publié dans le numéro du 1er décembre 1963 de France-Amérique. S’abonner au magazine.