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Olivier Bodart : l’humeur géographique

L’artiste et écrivain français, installé en Amérique du Nord depuis 2012, a récemment publié en France son deuxième livre, Après moi le désert. Un road trip contemplatif dans le désert de Sonora, en Californie, entre autofiction et hallucinations.
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L’écrivain et artiste Olivier Bodart au travail sur son dernier projet, Imperial, inspiré par le désert californien. © Kirsten Fenton

Le 10 mars 2021, alors que la pandémie de Covid-19 rend toujours les déplacements difficiles, Olivier Bodart et sa compagne franchissent par la route la frontière entre les Etats-Unis et le Canada. Etrange coïncidence, c’est aussi le jour où paraît en France Zones à risques, son premier roman : « J’ai dit aux douaniers que je sortais un livre le jour même : ils m’ont laissé entrer avec un visa de douze mois, en attente de ma carte de résident permanent. » Après quelques mois passés à Los Angeles, le couple, heurté par les inégalités et la violence d’une vie sous cloche, a décidé de quitter les Etats-Unis pour s’installer sur l’île canadienne du Prince-Edouard, au nord de la Nouvelle-Ecosse.

« Ma compagne est canadienne et n’avait plus d’assurance santé », raconte l’artiste et écrivain depuis Montréal, où il vit désormais. « Nous voulions l’inverse du rêve américain, arrêter les frais de la course folle pour survivre. Il nous fallait un endroit sûr, où nous pourrions nous installer sans chercher du travail tout de suite. Cette île calme était comme une page blanche. Nous avons acheté une maison en quelques clics, loué un camion et roulé pendant treize jours depuis Los Angeles. »

C’est sur l’Ile-du-Prince-Edouard, « en totale contradiction climatique », qu’Olivier Bodart a écrit Après moi le désert, son deuxième roman, ancré dans les paysages chauffés à blanc du désert de Sonora, en Californie. Dans cette fiction enfiévrée par un virus jamais nommé, un professeur d’arts plastiques français se retrouve piégé dans le local qu’il vient d’acheter pour y installer une école de photographie. Pressé par les agents du recensement décennal de 2020, il organise sa propre disparition pour effacer les preuves de son concubinage avec sa compagne, aux prises avec un divorce difficile.

Bravant le confinement, il s’enfonce en voiture dans des lieux de plus en plus étranges : Slab City, un ancien terrain militaire peuplé de squatteurs et de nomades façon Nomadland de Chloé Zhao, ou encore Felicity, une cité inachevée créée par un Français dans les années 1980, fermée plusieurs mois de l’année. « Cette histoire n’est pas complètement la mienne mais elle est ancrée dans des paysages et des lieux que j’ai bien connus », confie-t-il. « J’ai besoin d’un imaginaire cartographié pour croire à la fiction. »

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© Léa Chassagne
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© Léa Chassagne

En dix ans, l’Amérique du Nord a fait de lui un artiste et un auteur. « J’ai commencé à écrire et à créer des arts plastiques aux Etats-Unis », raconte-t-il. « Avant, je me débattais ; j’avais un fort désir, mais pas de vrai projet. » En 2012, répondant à un appel du Lycée Français de Chicago, il quitte la France avec son épouse et leur fille, laissant derrière lui un pavillon de banlieue parisienne et l’angoisse que « rien ne se passe ».

Au bout de sept ans d’expatriation, le couple divorce. Après avoir rencontré sa nouvelle compagne, Olivier Bodart tente, comme son narrateur, de s’installer aux portes du désert de Sonora, sur une parcelle qui doit, à terme, être restituée aux Amérindiens. « Quand j’emménage dans un endroit, c’est toujours avec la volonté d’y habiter pour le restant de mes jours. J’ai envie de permanence et de mouvement en même temps. Avec cette terre indienne, j’aimais l’idée que les choses nous échappent, qu’elles ne nous appartiennent jamais. »

De chaque projet d’écriture naît une création plastique. Après Zones à risques, il réalise comme son personnage principal, expert en catastrophes naturelles, des scènes miniatures dans des boîtes en bois dont il tire des images en macrophotographie. « Je suis par exemple allé dans la forêt près de Santa Cruz, en Californie. J’ai ramené des traces de coulées de boue et des aiguilles de pin pour faire mes œuvres avec des éléments naturels. C’est une création sous contrainte avec des morceaux de réel. » A partir d’Après moi le désert, il crée Impérial, une reconstitution en 3D de la carte du comté du même nom, terrain d’une déambulation photographique faite depuis un lieu clos.

Avant de s’installer aux Etats-Unis, Olivier Bodart a parcouru le pays d’est en ouest et du nord au sud, dès l’adolescence, avec une curiosité particulière pour les maisons d’écrivains. « Je voulais voir comment ils travaillaient », se souvient-il. « La première que j’ai visitée est celle de H.P Lovecraft [à Providence, dans le Rhode Island]. Chaque auteur que j’aime est lié à une géographie et j’ai réalisé une carte des maisons d’écrivains. » Lecteur de Richard Ford, de Raymond Carver et de John Gardner, il est aussi influencé par Georges Perec, ses tentatives d’épuisement des lieux, sa description minutieuse des espaces.

Depuis le Canada, il réfléchit à son prochain livre, lié à l’insularité. « J’y ai pensé sur l’Ile-du-Prince-Edouard mais j’aimerais le transposer en Floride. Il faut que je sois aux Etats-Unis pour que ça se déclenche. » Si le projet est encore incertain, une chose est sûre : l’écrivain ne retournera pas vivre en France. « L’humeur parisienne me grise l’âme », explique-t-il. « L’Amérique du Nord maintient un certain niveau d’excitation, il reste une part d’incompréhension, d’étrangeté. Alors que je me sentais endormi en France, je suis en éveil depuis dix ans. » Un puissant carburant pour la création.


Après moi le désert d’Olivier Bodart, Editions Inculte, 2023.


Article publié dans le numéro d’avril 2023 de France-AmériqueS’abonner au magazine.