La Nouvelle-Orléans « disparue » revit dans les photos de Bernard Hermann

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Lorsque le Français Bernard Hermann arrive à La Nouvelle-Orléans en janvier 1979, engagé pour réaliser les photos d’un livre de voyage, il pense « boucler son sujet » en quelques semaines. Il y passera quatre ans, brossant un portrait à la fois candide et brutalement honnête d’une ville en pleine mutation.

Nourri de traditions créoles par sa grand-mère née à La Nouvelle-Orléans—et elle-même la petite-fille d’un illustre « homme de couleur libre » —, élevé au son du jazz et du blues dans les caves du Quartier Latin, le photographe se sent dans les rues de la Big Easy « comme un poisson dans l’eau ».

« J’ai été pris par une grande langueur locale et j’ai décidé de rester », lance le photographe depuis son appartement parisien. Aussitôt terminé le livre de photos couleur pour son éditeur, les Editions du Pacifique, Bernard Hermann se « fait plaisir », passe au noir et blanc et se perd dans La Nouvelle-Orléans. Cette fois, son objectif est documenter « les derniers feux » des traditions créoles et cajuns en train de mourir.

La Nouvelle-Orléans que découvre Bernard Hermann ne correspond plus guère aux souvenirs de sa grand-mère. La ville caraïbe, au deux tiers noire, détient alors le taux de meurtre et de brutalité policière le plus élevé du pays, mais déjà, la mairie est en train d’épousseter l’image de la ville. Sulfureuse, violente et exubérante, ville de musiciens, de matelots, de joueurs, de buveurs et de prostituées, La Nouvelle-Orléans balaye ses trottoirs et harmonise son paysage. Les cultures indigènes vivent leur dernier hourra.

« Tout était en train de se faire plastifier et commercialiser », explique le photographe, un peu ethnologue, un peu sociologue. « Je voulais tourner mes objectifs sur les Noirs, mais aussi sur ceux qui perpétuaient les traditions anciennes en train de disparaître ; je cherchais la vieille Nouvelle-Orléans. »

« Folklorisation des cultures »

Un « rouquin aux yeux clairs », un « redneck » avec un appareil photo sur le ventre, Bernard Hermann peine à se faire accepter dans les communautés noires. « Vous ne pouvez pas vous imposer ; il faut être cool et aller avec le flot. » Accompagné d’un jeune photographe noir originaire du Lower Ninth Ward, un quartier populaire de l’est de La Nouvelle-Orléans—tristement célèbre depuis sa destruction par l’ouragan Katrina en 2005—, le Français arpente les rues de la ville, se faufile et profite de la moindre occasion pour se rapprocher des communautés noires : un mariage, un baptême, un enterrement, une fanfare, une sortie de club.

Les clubs, les marching bands, les parades et les groupes de second line qui ferment la marche, mais aussi les processions funéraires et les chaînes de forçats au pénitencier d’Etat—prisonniers noirs la pelle sur l’épaule, gardes blancs à cheval, carabine à la main—, Bernard Hermann saisit sur pellicule le quotidien de « descendants d’esclaves oubliés du Rêve Américain ». Face à une société encore largement inégalitaire, corrompue et raciste, la communauté reste pour les Africains-Américains un instrument de survie et la musique, une forme d’expression libre.

« Je ne suis pas sûr que La Nouvelle-Orléans parvienne à conserver ses spécificités », regrette le photoreporter. « Transformées par la modernité, toutes les cultures et les traditions disparaissent ; elles deviennent des pièces de musées pour les touristes. »

A son retour en France en décembre 1982, Bernard Hermann propose ses photos, mais l’attention des éditeurs est tournée vers les camps de réfugiés de Somalie et du Soudan. L’heure n’est pas au carnaval. Trente-cinq ans après, toutefois, l’ouragan Katrina a remis La Nouvelle-Orléans et la nécessité de préserver son patrimoine au cœur des débats : les 170 images noir et blanc de Bernard Hermann constituent alors un précieux témoignage. Son ouvrage, Bon temps roulés, est publié en octobre 2015.

Bernard Hermann a apprécié Treme, la série télévisée qui explore la reconstruction de La Nouvelle-Orléans post-Katrina, mais n’a jamais voulu retourner sur les lieux. « Pourquoi retrouver une ville métamorphosée et gâcher mes bons souvenirs ? »

Bernard Hermann
Bons temps roulés, Dans la Nouvelle-Orléans noire disparue, 1978-1982
Albin Michel
49 euros

The Good Times Rolled, Black New Orleans 1978-1982
University of Louisiana Press
49.95 dollars