French Connection

La verte cité des Français de Seattle

A deux heures de voiture au sud de Vancouver et de la frontière canadienne, Seattle, la « Cité émeraude » de l’Etat de Washington, aime revendiquer sa différence et son éclectisme. Quelque 7 000 Français y ont élu domicile, attirés par les grands espaces et le dynamisme économique de cet écrin de verdure insoupçonné.
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© Luca Micheli

Il est 15h30. Le terrain de foot de Qwest Field, encore humide après l’une de ces averses si caractéristiques de Seattle, se vide peu à peu de ses joueurs. La saison de Major League Soccer bat son plein et les Sounders, la nouvelle équipe de la ville qui fait ses premiers pas dans le championnat américain de foot, entend être à la hauteur des attentes de ses milliers de fans. « Je me souviendrai toujours du match d’ouverture en mars dernier », raconte Sébastien Letoux avec des étoiles dans les yeux. « Nous avons joué à guichets fermés sur notre propre terrain contre New York. Il devait y avoir plus de 30 000 spectateurs en liesse, un moment d’émotion incroyable. »

Ce grand jeune homme aux joues maigres a réalisé son rêve américain. Joueur peu connu en France, le Breton est maintenant l’une des stars de son équipe. Après deux années difficiles comme défenseur au FC Lorient et une autre passée à essayer de se faire embaucher par des clubs français, Sébastien Letoux se fait finalement repérer par les Seattle Sounders lors d’un match d’essai aux Etats-Unis. Une saison et dix buts plus tard, le jeune homme de 25 ans est élu meilleur joueur de l’année 2007. « Le soccer est un véritable phénomène dans la région », explique Jack Cowan, consul honoraire de France à Seattle. Depuis que l’équipe est passée en MLS en 2009, l’équivalent américain de la Ligue 1 française, le stade de Seattle ne désemplit pas. Un fait inhabituel dans un pays où le soccer se fait voler la vedette par le baseball et le basket. « Seattle est une ville très internationale », poursuit Jack Cowan. « Comme le soccer n’est pas un sport typiquement américain, il attire les communautés étrangères de la ville. »

Une promenade au cœur de Little Tokyo vient confirmer l’ambiance cosmopolite de la Cité émeraude. « Vous êtes ici au centre du quartier japonais », explique Marc Onetto, vice-président en charge des opérations internationales chez Amazon.com. « La ville abrite la plus grosse communauté nippo-américaine des Etats-Unis. » A deux pas d’un marchand japonais d’huîtres et de l’un des innombrables Starbucks de la ville se cache le siège discret d’Amazon, société fondée à Seattle en 1995. Marc Onetto, un homme jovial à la poignée de main vigoureuse, a visiblement lu une bonne partie des livres que son entreprise expédie à travers le monde entier. Lorsqu’il se lance dans l’histoire de l’Etat de Washington, le Français est intarissable. « Au XVIIIe siècle, Juan de Fuca fut chargé par le roi d’Espagne d’aller explorer les côtes du Pacifique nord. Au cours de sa mission, il découvrit un détroit extraordinaire : celui qui aujourd’hui porte son nom et sépare le Canada de l’Etat de Washington. En revenant de mission, pourtant, le roi d’Espagne refusa de croire Juan de Fuca qui abandonna alors ses recherches. Ce n’est que 140 ans plus tard que l’officier de marine britannique George Vancouver reprit la mission de Juan de Fuca. » Passionné d’histoire mais aussi de navigation, ce brillant quinquagénaire originaire de Lyon, est comme un poisson dans l’eau à Seattle. Tous les week-ends, il peut prendre son bateau depuis le ponton au bas de sa maison, située sur le lac Washington, dans l’est de la ville. « Une écluse me permet de passer du lac jusqu’à la mer. De chez moi, je peux aller jusqu’à Tokyo ! »

Conquis par les grands espaces

Enclavée entre le bras de mer du Puget Sound, à l’ouest, et la chaîne montagneuse des Cascades, à l’est, Seattle est le paradis des Français amoureux des grands espaces. Olivier Fontana, responsable du marketing chez Microsoft, a tout de suite été conquis. Arrivé à Seattle en 2003 pour travailler dans la compagnie créée par Bill Gates et Paul Allen, tous deux originaires de la ville, ce père de famille n’aurait jamais soupçonné qu’il resterait aussi longtemps. « J’avais promis à ma femme que nous rentrerions en France au bout de deux ou trois ans », dit-il. « Finalement, c’est elle qui ne veut plus repartir. Cette région est fantastique. Notre jardin donne sur une forêt, les enfants voient passer des biches, des lynx et des coyotes sous leur fenêtre et je peux les emmener skier à 40 minutes à peine de la maison. » Olivier Fontana est l’un des quelque 300 employés qui travaillent au siège de Microsoft dans l’East Side de Seattle, un quartier que le cadre décrit comme « l’équivalent de la Silicon Valley pour l’Etat de Washington ». Outre Microsoft, l’East Side accueille les sièges d’Expedia et des filiales américaines de Nintendo et de Safran, le groupe français né en 2005 de la fusion de Snecma et Sagem.

Spécialisée dans la haute technologie, Seattle est l’une des villes au monde qui compte la plus forte proportion de diplômés universitaires. Valérie Carricaburu travaille depuis deux ans et demi à l’université de Washington, la plus ancienne haute école de la côte ouest. Après avoir obtenu un doctorat en biologie cellulaire et moléculaire à Bordeaux et passé trois ans dans un laboratoire de Boston, cette jeune femme dynamique a suivi à Seattle son mari embauché par Microsoft. Alors enceinte de son premier enfant, Valérie Carricaburu n’abandonne pas pour autant la recherche. Elle décroche un poste au département de transfert des technologies de l’université de Washington. Sa mission : examiner les 350 inventions produites chaque année par l’école de médecine et sélectionner celles qui sont susceptibles d’être brevetées. « J’exerce un métier passionnant, à la frontière entre la recherche et le commerce », dit-elle. « Une invention sera brevetable si elle est utile, novatrice et non évidente. » Lorsqu’elle ne travaille pas, la jeune femme profite des lacs et des montagnes de la région avec son mari et son fils de quatre ans. « Il y a quand même des choses qui me manquent ici », termine-t-elle en riant, « comme les repas traditionnels français et la culture de la table par exemple ».

Thierry Rautureau, surnommé « the chef in the hat » par les habitants de Seattle, y a pourtant trouvé son bonheur culinaire. Installé depuis 21 ans dans la cité, ce chef ne se lasse pas de la richesse des produits frais à sa disposition. « Seattle est une ville exemplaire du point de vue des légumes saisonniers », explique-t-il. « L’Etat de Washington est humide et regorge de champignons, d’asperges vertes et de poireaux sauvages. » Le chef français au large chapeau n’est pas prêt de quitter sa ville d’adoption. « J’adore cet endroit, couvert de forêts, de montagnes et d’eau ! » Et lorsque l’on regarde le soleil se coucher derrière les montagnes Olympics, de l’autre côté de la baie, on ne saurait le contredire.


Article publié dans le numéro de juin 2009 de France-AmériqueS’abonner au magazine.