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Comment Charles de Gaulle a sauvé la France

Comme le souligne Julian Jackson dans la préface de sa biographie, publiée en 2018 par Harvard University Press et traduite en français par le Seuil, De Gaulle est « partout » dans la France d’aujourd’hui, un héros incontesté.
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Charles de Gaulle à Chartres, le 24 août 1944. © No. 5 Army Film and Photography Unit, colorisation par R. White

Cette affirmation, à l’instar d’autres, peut apparaître au lecteur à la fois à peine exacte et métaphysiquement fausse, comme le dirait un intellectuel français. Son nom est assurément partout – c’est celui d’un grand aéroport parisien et de la place de l’Etoile, renommée place Charles de Gaulle, où la circulation autour de l’Arc de Triomphe ne s’arrête jamais – mais son modèle semble lointain. Son œuvre achevée, ce personnage est davantage sujet historique qu’objet de controverse. Pour avoir passé du temps en France au cours des quarante dernières années, je l’ai très rarement entendu cité en exemple face aux crises que nous connaissons. Que son nom ait été donné à l’Etoile semble justifié : on ne cesse d’en faire le tour sans jamais s’arrêter bien longtemps.

S’il est toujours présent, c’est avant tout dans la masse d’ouvrages sur la Deuxième Guerre mondiale écrits par les Américains et les Britanniques, où il apparaît comme le plus gros emmerdeur de l’histoire du monde libéral. Par un hasard tout alphabétique, l’entrée « De Gaulle : Caractéristiques personnelles » dans l’index de Jackson nous propose, dans l’ordre : arrogant, austère, autoritaire, froid, fumeur, mépris de la nature humaine. Et cette liste n’est pas exhaustive. Cependant, ce livre le démontre clairement : il demeure pour le public un personnage hors du commun.

De Gaulle a connu trois rendez-vous avec l’Histoire : en 1940, en 1958 et en 1968. Et par trois fois, il a sauvé les Français avec audace. D’abord en incarnant la République française face aux Allemands ; puis en s’emparant du pouvoir, de façon républicaine, pour mettre fin à la guerre d’Algérie ; enfin, lorsqu’il endigua le chaos potentiel de la révolte de Mai 68 en rassemblant presque un million de contre-manifestants sur les Champs-Elysées.

L’audace n’explique pas tout. Comme le montre Jackson, citoyen britannique et professeur d’histoire, il est aussi question de dosage de savoir-faire politique et de contexte politique entre factions rivales. Mais cette théâtralité, il l’utilisa plus que n’importe quel autre homme politique de son siècle. Churchill, en 1940, avait tous les atouts en mains. Il disposait de la technologie pour décoder les messages ennemis, d’une Royal Air Force intacte et d’un vaste empire. De Gaulle n’avait rien, juste son uniforme et sa voix. Personne n’a jamais joué une main aussi faible de manière aussi habile. Sa vie ne fut qu’une longue série de bluffs, et ce qui le rendait exaspérant – sa vanité et son côté borné ; son complexe de supériorité injustifié et son aveuglement égocentrique – explique aussi pourquoi ses coups fonctionnèrent. Il a convaincu les autres joueurs assis à la table avec les quatre as, qu’il en avait peut-être un dans sa manche, par la seule force de sa volonté.

Avant tout, il est une figure incontournable du républicanisme, issu du sérail qui, en d’autres lieux en temps de crise aurait mené à une certaine forme de bonapartisme. Il est resté fidèle à la démocratie, à l’alternance gouvernementale et il a démissionné conformément à ses convictions. Il avait « une certaine idée de la France », pour reprendre sa célèbre formule, mais une idée républicaine de ce pays. Il incarnait le politique réactionnaire et princier, totalement différent dans le ton de l’habituel « progressiste », mais pas moins attaché aux institutions démocratiques. Ceci est imputable à l’action de ses conseillers qui ont su infléchir le Général – pris d’accès de mauvaise humeur – à des moments clés.

En fin de compte, De Gaulle a toujours réaffirmé son attachement aux valeurs républicaines. Sa vie est la preuve qu’une politique de droite décomplexée ne tend pas nécessairement à l’absolutisme ; elle peut aussi parfois renforcer la colonne vertébrale d’une démocratie libérale.

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De Gaulle : Une certaine idée de la France de Julian Jackson, traduit de l’anglais par Marie-Anne de Béru, Seuil, 2019. 996 pages, 27,90 euros.


Article publié dans le numéro de novembre 2018 de France-AmériqueS’abonner au magazine.