14 mai 2011. Les téléspectateurs et internautes du monde entier n’en croient pas leurs yeux. Sur leurs écrans défilent les images de Dominique Strauss-Kahn sortant, hagard, d’un commissariat de police new-yorkais, les mains menottées dans le dos. Comme un vulgaire délinquant. Ou un dangereux criminel. Alors même que le directeur général du Fonds monétaire international, figure de la vie politique française au point d’être favori dans la course à la présidentielle qui s’ouvre alors, accusé d’agression sexuelle par une employée du Sofitel de Manhattan, n’est même pas encore inculpé.
Si, comme en France, tant qu’on n’a pas été jugé et condamné, on est présumé innocent, la justice américaine ne garantit pas avec autant de soin la fameuse présomption d’innocence dans les médias. Aux Etats-Unis, on appelle perp walk, abréviation de perpetrator walk, littéralement « marche de celui qui a commis un crime », la pratique consistant à faire parader en public une personne suspectée d’un acte délictuel afin que les journalistes puissent la filmer et la photographier à leur guise. Une pratique aujourd’hui inconcevable en France. Adoptée par le Parlement en 2000, une loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des accusés limite en effet la possibilité, pour les médias, de montrer une personne menottée.
Le perp walk américain, à dire vrai, a évolué avec le temps. Au départ, on n’exhibait que les grands criminels. Avec, parfois, des rebondissements spectaculaires. C’est au cours d’un perp walk que Lee Harvey Oswald, l’assassin présumé de John Fitzgerald Kennedy, fut abattu par Jack Ruby le 24 novembre 1963 à Dallas. Rudolph Giuliani, procureur fédéral dans les années 1980 avant de diriger la mairie de New York de 1994 à 2001, l’élargira aux délinquants en cols blancs en visant particulièrement les traders de Wall Street. Dans la Grosse Pomme, désormais, la police n’hésite pas à passer les menottes à une personne arrêtée et conduite au commissariat, à moins, bien sûr, que l’infraction ne soit justiciable que d’une simple amende.
Rien de fortuit donc si l’exercice donne lieu à des scènes dégradantes : on lui prête un effet dissuasif tout en plaçant le délinquant présumé en position de faiblesse psychologique. De Kenneth Lay, PDG d’Enron, en 2004, au chanteur Michael Jackson en 2003 et au politicien Rod Blagojevich, gouverneur de l’Illinois, en 2008, des personnalités de tout ordre ont eu à vivre cette mésaventure. Au moment de la comparution de Donald Trump devant le tribunal pénal de Manhattan, le 4 avril dernier, chacun s’interrogeait : l’ancien président américain, convoqué par un juge qui le soupçonne d’avoir acheté le silence d’une actrice porno, allait-il être lui aussi exhibé, les mains enchaînées, devant les journalistes et les photographes ?
De Pinkerton à Bertillon
Statut d’ex-président oblige, Donald Trump a échappé à l’humiliation du perp walk. Il lui a aussi été épargné le mug shot, la photo d’identité judiciaire. Souvent, lorsqu’une personne est interpellée par la police, elle subit en effet une batterie de contrôles et d’enregistrements, parmi lesquels la célèbre séance de photos de face et de profil.

Cette pratique a beau choquer les Français, ils en sont quelque part responsables. Certes, les Américains connaissaient la photographie d’identité judiciaire, imaginée par le détective Allan Pinkerton vers 1860. Chacun a en tête les affiches Wanted popularisées au cinéma par les westerns. Mais c’est un Parisien, Alphonse Bertillon (1853-1914), qui est à l’origine de la généralisation de la photo anthropométrique. Célèbre à la fin du XIXe siècle, ce criminologue a mis au point un système d’identification, appelé plus tard « bertillonnage », basé sur les mensurations (taille, longueur des pieds, arête du nez, écartement des oreilles…) ainsi que sur la photographie dite « face/profil ». Rapidement adoptée dans toute l’Europe, puis outre-Atlantique, cette méthode d’identification sera utilisée jusqu’à ce que, dans les années 1970, le système de classification des empreintes digitales la supplante définitivement.

Pour revenir aux Etats-Unis, à la moindre incartade, une entorse au code de la route par exemple, un acteur ou un chanteur peut retrouver son visage sur les écrans de télévision et sur le Web. L’un des plus anciens clichés anthropométriques de star remonte d’ailleurs à 1938. Le personnage photographié n’est autre que le crooner Frank Sinatra, arrêté pour une sombre affaire d’adultère par le bureau du shérif du comté de Bergen, dans le New Jersey. Parmi les autres célébrités ainsi fixées sur la pellicule, on compte, entre autres, Billie Holiday en 1947, Marilyn Monroe en 1954, Jane Fonda et Jim Morrison en 1970. Suivront Mel Gibson, Nicole Richie, Lindsay Lohan, Nicki Minaj ou encore Khloe Kardashian. Sans oublier Bill Gates, arrêté en 1977 pour excès de vitesse, ainsi que l’acteur Hugh Grant, surpris en plein ébats sexuels sur la voie publique avec une prostituée en 1995. Plutôt que de s’en offusquer, certains retournent en leur faveur le mug shot : des figures telles que Paris Hilton et Justin Bieber lui doivent une part de leur notoriété.
Le supplice de la roue
Reste que, pour nombre de justiciables, le mug shot et le perp walk, pain bénit pour les tabloïds, sont vécus comme des épreuves extrêmement traumatisantes. Pour les Français, elles renvoient – toute proportion gardée – à une époque où, chez eux, la justice n’y allait pas avec le dos de la cuillère. Longtemps, les châtiments physiques ont été la règle. Avant 1981, on s’en souvient, la peine de mort avait cours dans « le pays des droits de l’homme ». Jusqu’au XVIIIe siècle, l’ablation de la langue était la punition infligée aux blasphémateurs. Pour les homicides les plus graves, la sanction était le supplice de la roue. Après avoir étendu le condamné sur une croix de saint André (en forme de X), le bourreau lui rompait les quatre membres et la poitrine à coups de barre de fer. Le supplicié était ensuite attaché à une roue. On n’est pas loin des peines mutilantes de la charia islamique : lapidation, amputation…
A cela s’ajoutait tout un catalogue de peines infamantes et dérisoires telles que le pilori, un poteau où l’on attachait le condamné pour l’exposer en public, et la course à l’âne. Souvent appliquée aux proxénètes, cette dernière consistait à faire déambuler le condamné à travers la ville, la tête tournée vers la queue de l’animal où on l’avait juché. Quant aux personnes qui s’étaient rendues coupables d’adultère, on les obligeait à courir nues dans la rue, les badauds étant invités à les fouetter au passage.
Certes, on ne torture pas aux Etats-Unis, mais on continue à exécuter des condamnés, tout au moins dans certains Etats. Le pays de Joe Biden reste même, avec le Japon, la seule démocratie libérale à perpétuer cette pratique. De façon générale, mieux vaut ne pas avoir affaire au système judiciaire qui repose sur une procédure accusatoire. Alors qu’en France le juge d’instruction est responsable de l’enquête avant, éventuellement, de renvoyer l’affaire devant la juridiction compétente, aux Etats-Unis ce sont les avocats qui doivent apporter les éléments : au procureur de prouver la culpabilité de l’accusé, à la défense de disqualifier les pièces à conviction. D’ou l’importance de s’entourer de bons avocats. Ce qui est le cas, à n’en pas douter, de Donald Trump.
Article publié dans le numéro de juillet-août 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.