Un marché dominé par l’Amérique du Nord, l’Ecosse et l’Irlande, l’industrie du whisky aux Etats-Unis est en train de s’élargir, reconnaissant la qualité des spiritueux en provenance d’autres pays comme le Japon, l’Inde et la France. S’appuyant sur la notion fondamentalement française de terroir, les whiskies français, distillés à partir d’ingrédients locaux, s’imposent progressivement sur le marché américain.
La France consomme plus de whisky que tout autre pays au monde : les Français boivent une moyenne de 2,15 litres par an (contre 1,4 litre pour les Américains). La majorité est importée d’Ecosse, mais les alcooliers français ont commencé à s’intéresser au vaste marché national en produisant du whisky français à destination des consommateurs Français. C’est exactement ce que Jean-Marc et Charles Daucourt, un oncle et son neveu nés à Angoulême dans une famille de producteurs de cognac, avaient en tête il y a vingt ans, lorsqu’ils se mirent à produire du whisky en utilisant les ingrédients trouvés à proximité de la distillerie familiale. De conception et production entièrement françaises, ils nommèrent leur produit Bastille 1789.
« La plupart des gens reconnaissent que nous [les Français] produisons des vins et des champagnes fantastiques ; il était donc parfaitement légitime que nous produisions du whisky français », explique Charles Daucourt, responsable de la marque aux Etats-Unis, où Bastille 1789 est commercialisé depuis 2010. « Le nord-est de la France produit d’excellents grains. De nombreuses distilleries écossaises et irlandaises viennent même en France pour s’y approvisionner. »
Le terroir français
En utilisant des techniques et des ingrédients locaux, les distillateurs français produisent du whisky représentatif du terroir français. Bastille 1789 est distillé dans des alambics charentais généralement utilisés pour fabriquer du cognac, un spiritueux à base de raisin provenant de la ville de Cognac, dans le sud-ouest de la France. Leur forme est différente de celle des alambics à colonne utilisés pour distiller du scotch ou du bourbon. Charles Daucourt utilise ensuite les vieux fûts à cognac de sa distillerie pour faire vieillir son whisky. « Je souhaitais reproduire le sentiment et les sensations que l’on ressent en buvant du vin rouge français », souligne-t-il en parlant de sa dernière composition, un whisky single malt. « Nous le faisons vieillir dans trois fûts individuels — Sauterne, Bourgogne rouge et sherry — pendant dix ans séparément, puis mélangeons le tout à la fin. »
Une autre marque de whisky français originaire de la région de Cognac, Brenne est également produit à l’aide d’un alambic charentais. Il est ensuite vieilli dans une combinaison de vieux fûts à cognac et de nouveaux fûts en chêne provenant du Limousin. Allison Parc, fondatrice et propriétaire de la marque Brenne, décrit son whisky comme étant « fruité et floral » et « très différent de ses cousins écossais ». Bastille et Brenne ont tous deux mis au point des méthodes de vieillissement inédites dans le monde du whisky. Il s’agit d’un détail important puisque, selon Young Kim, responsable des boissons au Flatiron Room, un bar à whisky de New York, soixante-dix pour cent de la saveur d’un whisky provient des fûts dans lesquels il est vieilli.
« Le Bastille se boit plutôt facilement et a un arôme d’orange et de banane qui provient de la teneur en blé du grain et du bois », explique Young Kim, comparant le blend de Bastille 1789 et le single malt de Brenne. « Le Brenne équivaut au Bastille dopé aux stéroïdes : son goût est beaucoup plus prononcé et il est différent de tous les whiskies que nous proposons. » L’International Review of Spirits, éditée par le site Tastings.com, a attribué 94 points et une médaille d’or au Bastille 1789 pour son « caractère mi-corsé à corsé, soyeux, à la fois sec et fruité » et sa « finale relevée de touches de glace à la pêche onctueuse, de poivre et d’épices pâtissières ».
Un marché en forte croissance
Allison Parc est américaine. Contrairement à Jean-Marc et Charles Daucourt, qui se sont inspirés de leur production familiale de cognac, cette New-Yorkaise a décidé de se lancer dans l’industrie du whisky il y a quinze ans, après avoir réalisé que personne ne parlait de whisky en termes d’ingrédients locaux et de terroir. Après avoir rencontré un distillateur de cognac français, Allison Parc a décidé de faire ses propres expériences. Elle s’est associée à lui pour produire un whisky en utilisant ses champs de blé et son matériel de distillerie. Il y a quatre ans, elle livrait — en vélo ! — les premières bouteilles de Brenne à New York et distribue aujourd’hui son whisky dans trente-cinq Etats américains et dans toute la France. Ce n’est pas rien. En raison du grand nombre de marques disponibles, la concurrence est féroce sur le marché américain du whisky. Le Flatiron Room de New York propose plus de 1 200 sortes de whisky.
Le nombre de producteurs français de whisky est également en augmentation. Il y a quinze ans, lorsqu’Allison Parc a commencé, la France ne comptait que trois ou quatre producteurs. Plus de quarante distilleries de whisky sont aujourd’hui déclarées en France. Un essor dû à la popularité croissante du whisky à l’étranger, et notamment aux Etats-Unis. C’est une des raisons pour lesquelles Charles Daucourt a d’abord commercialisé Bastille aux Etats-Unis. « Si votre produit est accepté en Amérique, alors Londres et Paris lui ouvrent ensuite leurs portes », précise-t-il. « Le whisky français a gagné en popularité en France il y a deux ans, lorsqu’il a été approuvé à l’étranger. » Bastille 1789 a été commercialisé aux Etats-Unis en 2010, en France en 2014 et il est aujourd’hui vendu dans dix-huit pays dont le Japon, l’Israël, Taïwan et les Pays-Bas. Les whiskies français appartiennent à la catégorie des « whiskies internationaux ». Ce secteur, qui ne cesse de croître, concurrence les catégories de whiskies plus traditionnelles, selon Palm Bay International, qui écoule 100 000 bouteilles de Bastille 1789 par an sur l’ensemble des Etats-Unis.
Allison Parc a également commencé par vendre son whisky français aux Etats-Unis car les Américains y seraient plus réceptifs, pensait-elle. Brenne est finalement retourné en France en 2015. « Je ne savais pas quel accueil serait réservé à une Américaine qui arrive en France, distille son propre whisky et essaye de le vendre sur place », se souvient-elle. Mais l’accueil a été chaleureux. Ravi de ce succès, Brenne annoncera prochainement son lancement au-delà de la France et des Etats-Unis.
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