Maison Kayser, l’artisanat du pain à grande échelle

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L’ouverture de dix boutiques Kayser à New York en cinq ans confirme l’intérêt des Américains pour le bon pain. Pour la chaîne de boulangerie française haut de gamme, qui doit produire le même pain qu’à Paris avec des ingrédients américains différents, l’enjeu est de taille.

Il est quatre heures du matin à New York. Une odeur de pain chaud flotte dans Greenwich Street… Au 355 de cette rue du quartier de TriBeCa, un boulan­ger, seul aux fourneaux, cuit les pains de la Maison Kayser. Au même moment, neuf autres boulangers sont aux fourneaux dans les neuf autres adresses Kayser à New York. « Chaque point de vente a son four et son équipe. Le pain est toujours frais et fait sur place », explique Yann Ledoux, chef exécutif pour la Maison Kayser aux Etats-Unis depuis l’ouverture de la pre­mière boulangerie dans l’Upper East Side en août 2012.

Aujourd’hui, l’Alsacien Eric Kayser emploie trente-neuf bou­langers à New York. « Un poste occupé par deux personnes à Paris nécessite quatre employés à New York. D’abord parce qu’il y a moins de jours de fermeture, et surtout parce que les boulangers aux Etats-Unis ont moins d’expérience. Certains ne sont pas assez qualifiés pour gérer seuls la chaîne de produc­tion du pain. » Chaque équipe est composée d’un chef ou d’un sous-chef français. « Le but est de former des Américains, des Philippins, des Mexicains. Mais chaque boutique est encadrée par un chef boulanger français », poursuit Yann Ledoux, lui-même un ancien boulanger.

Avec l’ouverture prévue de quatre autres boulangeries à New York d’ici la fin de l’année — dont une boutique au 1377 Sixième Avenue à Manhattan, qui ouvrira en mars — l’agenda du groupe est ambitieux. « Les destinations à l’étude sont le Connecticut, Chicago, Boston et la Floride », affirme Eric Kayser.

Du beurre importé de France

Réussir une baguette croustillante et des croissants feuille­tés s’avère plus délicat à New York qu’à Paris. Premier obs­tacle, les propriétés différentes de la farine américaine. Aux Etats-Unis, la farine est plus riche en protéines qu’en France. « On suppose qu’il y a deux raisons à cela : d’abord la grande richesse des sols américains et le recours aux OGM. En conséquence, on est obligé de laisser reposer la pâte, envi­ron une demi-heure, pour détendre le gluten et le lier à l’amidon. Il faut aussi hydrater la pâte davantage. »

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©Thierry Samuel

Selon la méthode artisanale, Eric Kayser utilise du levain qui développe une fermentation lactique et donne au pain sa saveur au petit goût lait et noisette. Le pain est aussi pétri, façonné et cuit sur place. Autre obstacle : l’inconsistance du beurre. « Les Américains font du bon beurre mais sa qualité varie selon les saisons. En hiver, le beurre américain est plus humide, ce qui pose problème pour les viennoiseries car un beurre mou casse le feuilleté. » Une variation dans la consistance qui coûte cher à la Maison Kayser. Les deux milles kilos de beurre consommés chaque se­maine à New York sont entièrement importés de France, faute d’avoir trouvé un producteur local de beurre proposant une qualité consistante.

« Nous travaillons des matières premières. Tout est millimétré pendant la fermentation. Il faut constamment s’adapter aux conditions extérieures », témoigne Eric Kayser. L’hiver froid et sec comme l’été chaud et humide de New York ne facilitent pas la tâche du boulanger. « La baguette perd dix grammes en été parce qu’on doit sécher plus longtemps le produit à cause de l’humidité », affirme Yann Ledoux. « Ce sont des petits ajuste­ments de recettes et de fabrications cruciaux pour maintenir une excellente qualité. »

L’adaptation aux produits et à l’environnement permet à la Mai­son Kayser de produire un pain de qualité identique à New York et à Paris. Un impératif au regard d’une clientèle améri­caine toujours plus pointilleuse. « Ils n’hésitent pas à ramener le pain s’ils sont déçus du produit. » Pour satisfaire sa clientèle, la Maison Kayser a récemment décidé d’exporter la traditionnelle question du boulanger français : « bien cuit ou pas trop cuit ? » « On pose la question aux clients, et on leur explique les différences de cuisson. »

Le prix du pain

La qualité du pain étant similaire aux Etats-Unis et en France, comment expliquer les différences de prix : 1,20 euro pour une baguette à Paris, contre 2,95 dollars à New York ? En raison du prix des loyers « deux à trois fois plus chers à New York qu’à Paris », avance Eric Kayser. La main-d’œuvre, plus nom­breuse à New York, car moins formée et moins expérimentée, augmente aussi les coûts. Tout comme le prix de la farine qui s’élève à 80 dollars le quintal aux Etats-Unis, contre quarante à soixante euros en France.

Autre explication plus surprenante, le prix du pain à New York répond à une logique d’image. « On ne peut pas vendre une baguette à deux dollars, les gens penseraient que la qualité du produit est inférieure à leur baguette de supermarché à trois dol­lars. Nous nous sommes alignés sur les prix de nos concurrents », explique Yann Ledoux.

A la différence des boutiques françaises, Maison Kayser à New York ne ferait pas autant de bénéfices sans la vente de café. « La consommation de café des New-Yorkais a largement augmenté notre clientèle. On s’est aperçu que l’on ne pouvait pas vendre que du pain et des viennoiseries à New York », explique Eric Kayser. Tout aussi inévitable, la présence d’une salle avec chaises et tables pour s’asseoir et déguster sur place, avec vitres transparentes permettant d’observer en di­rect la cuisson dans les fours à pain. « Les Américains adorent se restaurer à table le matin. Ils viennent aussi pour le brunch le week-end. »

Si les pains spéciaux — pains aromatiques aux épices, pains complets, pains farcis ou pains aux figues et noisettes — se vendent mieux aux Etats-Unis, la baguette traditionnelle fait moins recette à New York. Près de 1 200 baguettes sont écoulées quotidiennement dans chaque boutique new-yorkaise, l’équivalent d’une petite boulangerie parisienne. On est encore loin des 2 500 baguettes vendues chaque jour dans les Maisons Kayser les plus fréquentées de Paris. « Beaucoup de Parisiens achètent une baguette le matin, et une autre le soir, en sortant du travail. C’est une habitude qu’on ne voit pas encore chez les New-Yorkais », affirme Eric Kayser. « A nous de changer leur routine ! »

Article publié dans le numéro de septembre 2015 de France-Amérique.

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