David pourrait-il, un jour, agacer Goliath, voire seulement retenir son attention ? Le moteur français de recherche Qwant, conçu en 2013 pour respecter la vie privée des internautes, vient de lancer Qwant Maps, à l’image de Google Map. Son fondateur, Eric Léandri, souhaite « devenir une alternative française, puis européenne » au géant américain, hégémonique partout dans le monde, hormis en Chine et en Russie où Baidu et Yandex dominent grâce au soutien de leurs gouvernements… Google occupe 94 % du marché français, plus encore que les 86 % détenus aux Etats-Unis, où ses deux principaux concurrents ont dû s’allier pour ne pas disparaître : sur Yahoo, les résultats sont fournis par Bing, le moteur de recherche de Microsoft.
Cette prétention à être une alternative à Google peut prêter à sourire. Face aux 136 milliards de dollars de chiffre d’affaires réalisés par l’Américain en 2018, celui du Français n’a pas dépassé les 5,5 millions d’euros ! Quand Google affiche 30,7 milliards de dollars de bénéfices (143 % de plus qu’en 2017), Qwant accumule les pertes. Une cause perdue ? Face aux critiques, Cédric O, secrétaire d’Etat en charge du numérique, assure que l’Etat français maintiendra son soutien à Qwant. En septembre 2019, les 20 millions de postes de l’administration ont été équipés, par défaut, de ce moteur de recherche qui évitera aux fonctionnaires d’être tracés. Ils pourront continuer à fréquenter Google, mais cette bascule pourrait néanmoins augmenter de façon significative le nombre de visites, actuellement limitées à 72 millions par mois.
Aux adversaires de cette « politique nationale », ce soutien d’Etat rappellera fâcheusement les vaines tentatives de la France, dans les années 1960, pour imposer l’informaticien tricolore Bull face à IBM. Saigné par huit années de pertes, Bull a été racheté, en 1970, par Honeywell. Le nouveau groupe Honeywell Bull sera, un temps, le deuxième constructeur mondial, derrière IBM. Dans l’espoir de créer une industrie informatique européenne, à coup de subventions, la France a créé ensuite la Compagnie internationale pour l’informatique (CII) qui, avec le Hollandais Philips et l’Allemand Siemens, donna naissance à Unidata. Tout s’est mal terminé, en raison de la gestion épouvantable du groupe par des fonctionnaires incompétents.
La comparaison s’arrête là : Qwant ne vit pas de subventions mais d’apports en capital-risque et de prêts bancaires remboursables. Eric Léandri rappelle que « les GAFA ne se sont pas faits en un jour et ont perdu beaucoup d’argent au début ». L’originalité de Qwant est réelle : elle réside dans sa technologie et son architecture respectueuses de la vie privée. Les données de navigation restent à l’intérieur du smartphone et ne sont jamais aspirées par le moteur de recherche, dont les résultats ne sont pas indexés. Qwant s’apprête d’ailleurs à lancer un compte e-mail sécurisé.
Pour accélérer son développement et passer de 20 à 100 milliards de pages indexées, Qwant a passé un accord avec Microsoft et son cloud Azure. Le voilà dans la main des Américains ? Selon Léandri, il s’agit seulement d’augmenter sa puissance de calcul : l’accord porte sur l’indexation des pages, « pas sur les données de nos clients ».
L’avenir de Qwant reste indexé sur celui de Google. Parce que ses utilisateurs acceptent l’utilisation de leurs données privées par les publicitaires. Si les usagers de Google se révoltent, le modèle Qwant trouvera sa place.
Article publié dans le numéro de septembre 2019 de France-Amérique. S’abonner au magazine.