« Well, I did it ! », lançait Charles Lindbergh en se posant au Bourget, le 21 mai 1927, après 33 heures de vol à bord du Spirit of Saint Louis. Le pionnier américain de l’aviation fut le premier pilote à relier les côtes américaines et françaises. Un exploit partagé. « Des millions et des millions d’hommes […] vont se sentir plus voisins les uns des autres, plus fraternels », écrit un journaliste de L’Humanité.
Surnommée le « ruban étoilé », la ligne Paris-New York, est inaugurée en 1946. La compagnie opère alors deux vols commerciaux par semaine. En 1947, elle adopte le Constellation. Cet avion de luxe construit par la firme Lockheed aux Etats-Unis transporte une cinquantaine de passagers en 17 heures, avec deux escales : Shannon en Irlande ou Santa Maria aux Açores, et Terre-Neuve. Ses stewards sont d’anciens employés de l’hôtel Georges V. La restauration est assurée par des chefs étoilés. Et chaque vendredi, on propose des cigarettes américaines et du champagne à bord du vol « Parisien spécial ».
Le mythe des supersoniques
La seule ligne durablement exploitée par le Concorde supersonique fut le Paris-New York. Entre 1977 et 2003, le Concorde permettait de « remonter le temps » avec un départ de Paris à 11 heures, et une arrivée à New York à 8 heures. Le trajet ne durait que 3 heures, 30 minutes : une prouesse technologique que Valéry Giscard d’Estaing qualifiait de « dérive des continents à l’envers ». Le rapprochement entre les deux pays était sans égal, mais avait un coût. Dans les années 1990, le prix de l’aller-retour s’élevait à 30 000 francs (4 570 euros aujourd’hui).
Emprunté par les élites dont François Mitterrand, Jackie Kennedy (qui réservait deux sièges pour avoir plus de place), le violoncelliste Mstislav Rostropovitch (qui réservait également deux sièges, le second étant occupé par son instrument) ou encore le chef d’orchestre Daniel Barenboim (chez qui la réservation d’un deuxième siège devait éviter d’avoir à souffrir un voisin insoutenable), le Concorde a cessé de voler en 2003.
L’appareil qui consommait une tonne de carburant par passager était devenu un gouffre financier. L’augmentation du prix du pétrole, la faible rentabilité économique de l’avion et l’accident de Gonesse, qui fit 113 victimes en 2000, entraînent son abandon. Mais le rêve du supersonique perdure. Des projets sont actuellement à l’étude, comme le Boom Overture financé par Virgin Atlantic. Mais seront-ils viables ? Il faudrait cinq Concorde pour transporter les passagers d’un seul Airbus A380.
La vitesse des avions classiques a curieusement peu évolué depuis les années 1950 : les appareils volent toujours en moyenne entre 800 et 900 kilomètres/heure. Tout gain de vitesse entraînerait un coût économique et technologique considérable pour les compagnies. Depuis quarante ans, la durée d’un vol Paris-New York est de 8 heures. Dans le sens inverse, le trajet est plus court de 45 minutes en raison des vents créés par la rotation de la Terre.
Un marché dominé par la joint-venture d’Air France
Emblématique par son ancienneté et la qualité de ses services, la compagnie Air France met quotidiennement en vente 4 000 sièges sur la liaison Paris-New York. C’est la seule ligne sur laquelle volent chaque jour deux A380 l’été. Mais la concurrence sur l’axe transatlantique est de plus en plus forte. Pour garder la main sur ce marché, Air France a bâti une coentreprise afin de couvrir l’ensemble des vols au départ de Paris-Charles de Gaulle, Amsterdam et Londres-Heathrow vers l’Amérique du Nord.
En s’alliant avec la Néerlandaise KLM, l’Italienne Alitalia et l’Américaine Delta (qui gère les ventes pour Air France sur le territoire américain), Air France forme la première joint-venture du marché transatlantique. Ces compagnies assurent conjointement 30 % des liaisons entre l’Europe et les Etats-Unis.
Un leadership que vient renforcer le partenariat récent avec la britannique Virgin Atlantic. « Nos concurrents historiques sont les alliances formées autour de United/Lufthansa (Star Alliance) et British Airways/American Airlines (Oneworld) », explique Stéphane Ormand, vice-président d’Air France en Amérique du Nord. Mais depuis deux ans, de nouveaux acteurs viennent concurrencer les compagnies traditionnelles : les low-costs, comme Norwegian Airlines.
La stratégie des low-costs longs-courriers
Norwegian s’est imposé en quelques mois en proposant des tarifs d’appel hyper attractifs à 65 euros, selon la stratégie dite de « déshabillage des prix » (billet sans bagage ni repas à bord, et sans possibilité de modifier ses dates de voyages). Lancée à l’été 2016, l’offre low-cost transatlantique de Norvegian est quotidienne. En 2018, elle sera à son tour concurrencée par l’Espagnole Level, qui a mis en vente ses premiers allers simples à 129 euros, et par la Danoise Primera Air.
Les compagnies low-cost utilisent une nouvelle génération d’avions, plus économes en carburant, comme les Boeing 737 MAX. Leur taille modeste est adaptée au faible volume de voyageurs. Ces offres s’adressent une clientèle peu regardante sur le confort mais sensible aux tarifs. L’expérience low-cost sur les moyens-courriers en Europe a contribué à changer les mentalités : EasyJet et Ryanair ont prouvé que leurs vols étaient aussi sûrs que ceux des compagnies régulières.
Tous transporteurs confondus, le coût des vols Paris-New York a baissé. Il est passé en moyenne de 726 euros en 2014, à 535 euros en 2016, soit une baisse de 26 % selon une étude comparative du site Liligo. En réservant son aller-retour deux mois à l’avance, un passager avec une valise en soute, un repas chaud à bord et une assurance annulation devra débourser 400 euros.
Les compagnies traditionnelles à l’assaut du low-cost
Chez Air France, on préfère l’adjectif « light » à l’expression « low-cost ». La compagnie proposera à compter du 10 avril 2018 une nouvelle gamme tarifaire en classe économie sur les vols entre l’Europe, les Etats-Unis et le Canada, avec trois niveaux : « Light », un tarif bas sans bagage en soute, ni modification de la date de voyage à partir de 450 euros ; « Standard », un tarif qui comprend un bagage en soute et la possibilité de modifier ses dates de voyage (option payante) ; et « Standard Plus », qui inclut la modification possible de la date du billet, le remboursement en cas d’annulation et un bagage en soute.
Question confort et qualité de service, les compagnies traditionnelles restent imbattables. Elles assurent les services minimum à bord, comme les repas. Par comparaison, un dîner sur Norwegian vous coûtera 35 euros (seul le low-cost XL Airways inclut un repas et un bagage dans son tarif). La fiabilité et le confort sont aussi des arguments de vente pour les compagnies classiques. « La régularité des vols donne de la valeur à l’offre d’Air France », souligne Stéphane Ormand. Six avions décollent chaque jour de Roissy-Charles de Gaulle et d’Orly en direction de LaGuardia, Newark et JFK.
« C’est un argument de poids pour les voyageurs d’affaires qui recherchent de la flexibilité et un haut niveau de service », selon le vice-président. Enfin, en cas d’imprévu météorologique ou technique, les compagnies traditionnelles disposant d’une grande flotte sont plus réactives que leurs concurrents low-costs. Lors de la tempête de neige à New York en janvier 2018, les clients d’XL Airways sont restés bloqués plusieurs jours à Paris car la compagnie ne dispose que de quatre appareils et n’était pas en mesure d’affréter des avions dans l’urgence.
La classe business, un enjeu majeur
Les voyageurs de la classe business représentent 20 % des passagers d’Air France et comptent pour la moitié de son chiffre d’affaires. Depuis que les compagnies asiatiques et des Emirats investissent dans le très haut de gamme, les firmes européennes ont dû revoir à la hausse leurs standards pour satisfaire des passagers de plus en plus exigeants. Service à l’assiette, menu élaboré par de grands chefs français (comme Daniel Boulud au départ des Etats-Unis et du Canada sur Air France), fauteuil-lit, salon privé à l’aéroport… Le prix moyen du billet aller-retour France-Etats-Unis en classe affaires est de 5 000 euros chez Air France.
Le pari audacieux de la concurrence est de créer des vols low-costs en classe affaires entre Paris et New York. Certaines compagnies s’y essaient, avec un succès mitigé. De 2006 à 2009, L’Avion proposait exclusivement des sièges en classe business à prix cassés. Rachetée par la British Airways et rebaptisée OpenSkies, elle a depuis rétabli une offre multi classes. En 2013, La Compagnie s’est à son tour spécialisée dans la classe affaires à tarif réduit, mais sa flotte se limite à deux anciens modèles de Boeing 757-200.
Enfin, des low-costs proposent quelques sièges « premium » au confort amélioré, mais encore très éloigné des standards d’Air France. Les compagnies n’ont pas fini de se disputer les liaisons transatlantiques.
Article publié dans le numéro de mars 20118 de France-Amérique. S’abonner au magazine.