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Olivia & Jean-Pierre Chessé : la recette du changement

Olivia et Jean-Pierre Chessé, entrepreneurs en Chine puis philanthropes à New York, fondateurs de l’association Chefs for Impact et du fonds Bleu Capital, associent goût du bien vivre, engagement et vie familiale.
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© Benoît Georges

« Ce n’est pas en restant sur son canapé que l’on va avoir de l’impact. » La phrase est d’Olivia Chessé et résume bien son engagement et celui de son mari Jean-Pierre : une vision active et enthousiaste de la philanthropie. A New York, elle a fondé l’association à but non lucratif Chefs for Impact, qui milite pour une alimentation saine et durable auprès de publics défavorisés de Chinatown ou de Harlem. Lui a présidé à la création d’une salle de concerts innovante et non-profit à Brooklyn, la National Sawdust. Leur fonds Bleu Capital, chargé de faire fructifier le patrimoine familial, a également investi dans plusieurs start-up à impact.

Olivia et Jean-Pierre Chessé ont eu deux vies. Ils se sont connus à Shanghai, où il dirigeait son entreprise d’importation de produits alimentaires européens, Sinodis, fondée en 1996. Elle, globetrotteuse passionnée de gastronomie, représentait sur place la marque de chocolat française Valrhona après avoir accompagné les chefs Jacques et Laurent Pourcel, qui représentaient la France à l’Exposition universelle de Shanghai en 2010. Quatre ans plus tard, après la vente de Sinodis au groupe alimentaire Savencia, le couple Chessé s’installait aux Etats-Unis.

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Les musiciens Philip Glass, Asher Delerme, Foday Musa Suso et Jeffrey Zeiger sur scène à la National Sawdust, en 2017. © Jill Steinberg

A New York, Jean-Pierre Chessé avait déjà deux enfants, issus d’un premier mariage. Deux autres sont nés depuis et dans le salon de leur belle maison avec jardin, entre Chelsea et le West Village, une immense photo immortalise cette famille recomposée, traversant tous les six une avenue de Manhattan, comme un clin d’œil à la pochette de l’album Abbey Road des Beatles. La vente de Sinodis, avec 600 employés et 200 millions de dollars de chiffre d’affaires, a mis la tribu Chessé durablement à l’abri du besoin. « J’avais réussi à survivre pendant vingt ans en Chine, en vivant modestement, parce que je mettais tout dans ma société », raconte l’entrepreneur. « Cela m’a permis d’être un des premiers à bénéficier de l’occidentalisation des modes de vie et de la nourriture. Et j’ai vendu au bon moment. »

Un maître-mot : le goût

Jean-Pierre Chessé a alors 44 ans – « l’âge auquel mon père avait monté sa première boîte » – et ne souhaite ni créer une nouvelle entreprise, ni se tourner les pouces. Même chose pour Olivia, plus jeune et encore en pleine ascension professionnelle. « C’est une femme incroyablement indépendante, déterminée et organisée », décrit-il. « Elle essaye toujours de ne pas se laisser happer par les projets, quels qu’ils soient, et de garder du temps pour la famille et pour profiter de la vie. »

A son arrivée à New York, Olivia Chessé conjugue sa passion pour le bien manger et son imposant carnet d’adresses. D’abord avec une société de conseil, Gourmet and the City, pour aider les marques françaises à s’implanter sur le marché américain. Puis dans l’événementiel, avec Epicurean Nights : « Nous organisions des dîner immersifs et multisensoriels avec vidéoprojections, diffusion d’odeurs, performances artistiques », explique-t-elle. « Le maître-mot était le goût. » Les dîners avaient lieu à Brooklyn, dans les Hamptons, à Chicago ou à Los Angeles, mais se sont arrêtés net en mars 2020, à cause du Covid: « Le concept était totalement incompatible avec la distanciation sociale… »

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L’association fondée par Olivia Chessé milite pour une alimentation saine et durable auprès de publics défavorisés à New York. © Chefs for Impact

Dès les débuts du confinement, Olivia Chessé pose les bases de sa nouvelle aventure, Chefs for Impact : « Notre mission est de sensibiliser à une gastronomie plus durable, mais aussi accessible au plus grand nombre. » Cela passe d’abord par des vidéos sur Zoom avec de grands chefs, dont ceux d’Emmanuel Macron et de Michelle Obama. Mais très vite, l’association lance des actions au niveau local, en liaison avec des community centers et des écoles, en invitant des chefs ou en montant un jardin potager partagé. « Dans ces quartiers parfois difficiles, les jeunes prennent un immense plaisir à cultiver ou à cuisiner », témoigne Jean-Pierre Chessé. Avec une dizaine d’employés, l’association de sa femme est devenue « notre non-profit familiale ».

Une salle innovante à Brooklyn

Avant cela, lui avait fait ses premiers pas dans la philanthropie new-yorkaise en finançant la National Sawdust, une salle de concerts du quartier de Williamsburg ouverte en 2015, dont il présida un temps le conseil d’administration. « La musique m’a toujours passionné et en arrivant ici je cherchais un projet à soutenir. J’ai rencontré le créateur de la salle, Kevin Dolan, grâce à un ami violoncelliste. Du jour au lendemain, moi le Frenchie venant de Chine, je me suis retrouvé plongé dans le monde culturel new-yorkais. » Elitiste et éclectique, la salle a vu passer le compositeur Philip Glass, le violoncelliste Yo-Yo Ma et les activistes russes de Pussy Riot.

Depuis 2020, Jean-Pierre Chessé est aussi impliqué auprès de la branche américaine de l’ONG française Action contre la faim. © Action Against Hunger

Depuis deux ans, l’entrepreneur s’est un peu éloigné de la salle pour s’engager dans une autre activité à but non lucratif : Action Against Hunger, branche américaine de l’ONG Action contre la faim (cofondée par Guy Sorman, ancien directeur de France-Amérique). « J’ai eu la chance d’accompagner l’association en Afrique avec mes deux adolescents et j’ai trouvé leur organisation monstrueusement efficace. » Mais l’activité principale de Jean-Pierre Chessé reste Bleu Capital, créé pour faire fructifier l’argent rapporté par la vente de Sinodis. Le Français se définit comme un « investisseur interventionniste », recherchant le contact avec d’autres entrepreneurs pour les aider à se développer. « Je me sens à la fois du côté des investisseurs, parce que je mise mon argent, et avec les fondateurs, parce que je sais le temps et les efforts qu’il faut pour créer une boîte. »

Depuis sa création en 2015, Bleu Capital a misé sur une vingtaine de sociétés, dont FrenchFounders (réseau d’entrepreneurs), Contentsquare (analyse de données), Hubcycle (valorisation des déchets), La Vie Foods (bacon et lardons végétaliens) et Goodeed (financement de projets solidaires). « Nous investissons dans des projets inspirants, mais pas exclusivement », détaille Jean-Pierre Chessé. « Les entreprises à impact sont souvent sur des cycles longs, parce qu’il faut parfois des années pour créer un changement. Donc nous finançons aussi des projets profitables à plus court terme. L’idée est que notre patrimoine serve, qu’il grandisse et qu’il permette de financer nos activités philanthropiques. » Avec, en priorité, Chefs for Impact. « Nous venons tous les deux de milieux plutôt modestes et avons la chance d’être dans notre situation aujourd’hui, mais redonner a toujours fait partie de mon ADN », justifie Olivia Chessé. « Et à New York, la notion de give back est très importante, donc c’était une évidence pour nous d’avoir un projet comme celui-ci. »

 

Article publié dans le numéro d’octobre 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.