Un label américain réédite les pépites jazz oubliées de l’INA

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En 1964, le trompettiste du Chat Qui Pêche a le mal du pays. Woody Shaw, c’est son nom, plaide alors auprès de la patronne du club de jazz du Quartier Latin (fermé en 1970), Madame Ricard, pour qu’elle accepte d’engager un pianiste américain. C’est ainsi que Larry Young quitte Newark, dans le New Jersey, et arrive à Paris en novembre cette année-là. A vingt-quatre ans, il a déjà enregistré quatre albums—dont un pour le légendaire label Blue Note chez qui il vient de signer—et s’apprête à donner à l’orgue jazz ses lettres de noblesse. Mais pour l’heure, il rejoint le Nathan Davis Quartet, l’orchestre maison du Chat Qui Pêche.

Répétitions l’après-midi puis concert de 22 heures à quatre heures du matin, sept jours par semaine. Peu à peu, Larry Young prend conscience de l’amplitude créative de son orgue Hammond B-3, dépasse son simple rôle d’accompagnateur et devient lead. Le quartet gagne en notoriété et le 8 décembre 1964, les quatre musiciens sont invités à jouer avec l’orchestre de Musique aux Champs Elysées, l’émission de radio de Jack Diéval enregistrée dans les studios de l’ORTF—la future Maison de la Radio. Les quatre morceaux, près de 55 minutes de jazz syncopé, auraient dû être diffusés puis oubliés dans quelque salle d’archive, si ce n’était pour le label californien Resonance Records, qui vient de signer avec l’INA un accord pour rééditer les archives de jazz américain de la radio française.

« Une mine d’or ! Ils étaient assis sur une mine d’or ! » Zev Feldman, le directeur de Resonance Records, écrase son gros poing sur la table. « Nous avons réalisé que les Français avaient ces archives incroyables », jubile-t-il. « Tout ces artistes américains venus enregistrer à Paris mais aussi au festival de jazz de Juan-les-Pins, les Français ont gardé toutes les bandes. »

Dès les années 1920, en raison de la ségrégation en vigueur aux Etats-Unis, nombre de musiciens de jazz afro-américains font le choix de s’installer en France. Dans les clubs de Saint-Germain-des-Prés et du Quartier Latin, mais aussi à La Locomotive, boulevard de Clichy, au Théâtre des Champs Elysées ou sur la Côte d’Azur, le Gotha du jazz américain enregistre en France. Charles Mingus, Miles Davis, John Coltrane, Sonny Rollins, l’INA possède des enregistrements de « presque tous les grands jazzmen américains qui sont venus en France à partir du milieu des années 1950 », note Pascal Rozat, l’interlocuteur de Resonance Records à l’Institut National de l’Audiovisuel. Soit l’équivalent de « quelques milliers d’heures » de bandes audio.

« Diplomatie par le jazz »

En partenariat avec l’INA, Resonance Records souhaite maintenant commencer une série de rééditions d’artistes américains venus enregistrer à Paris. Toutefois, explique Pascal Rozat, « ça ne se fait pas en un claquement de doigts ». Chaque réédition soulève de gros problèmes juridiques et requiert de longues négociations avec les détenteurs des archives, les maisons de disques et les ayants droit des musiciens. Des négociations d’autant plus longues qu’elles impliquent des lois américaines mais aussi françaises. Près de quatre ans ont été nécessaires à Zev Feldman pour acquérir les droits de reproduction de Larry Young, numériser les bandes magnétiques et produire le double album Larry Young in Paris, sorti le 11 mars 2016. Réalisé à partir de divers enregistrements, l’album dessine en musique le parcours de Larry Young à Paris en 1964-1965, depuis ses débuts discrets comme accompagnateur au Chat Qui Pêche jusqu’aux sessions studio du Larry Young Trio.

« Ces six mois à Paris ont été instrumentaux dans la musique de Larry Young et annoncent le reste de sa carrière », observe Zev Feldman. En novembre 1965, Larry Young est de retour dans le New Jersey et entre en studio pour le label Blue Note. Sur les six morceaux qui figurent sur Unity—un album considéré comme un chef d’œuvre par les critiques—, trois sont nés à Paris.

Resonance Records est actuellement en négociation avec l’INA pour continuer la série de rééditions commencée avec Larry Young. Le rêve de Zev Feldman ? Trouver les bandes du concert du guitariste de jazz Wes Montgomery, donné au Théâtre des Champs Elysées en 1965—un concert « maintes fois piraté, mais jamais publié ! »

Larry Young, In Paris : The ORTF Recordings
Resonance Records, 2016