Avant de découvrir André Saraiva, les Parisiens ont fait la connaissance de son alter ego pictural, « Mr. A ». Nous sommes à la fin des années 1980 et la France découvre le graffiti. A rebours des simples tags et messages de haine qui fleurissent alors sur les murs, un jeune artiste crée un personnage aux jambes interminable avec un sourire en forme de croissant et un clin d’œil qui interpelle les passants.
Pour forcer le trait, André Saraiva coiffe son personnage d’un haut-de-forme et le nomme « Mr. A » : il rappelle le personnage de Fred Astaire, impeccable avec son chapeau, sa redingote et sa canne dans la comédie musicale Le Danseur du dessus, la mascotte du Monopoly ou le cousin déluré d’Eustace Tilley, l’aristocrate à monocle du New Yorker. L’artiste, fasciné depuis son adolescence par les dandies et le monde interlope de la nuit, préfère y voir « un gentleman cambrioleur ».
« Trente ans plus tard, il est toujours mon complice », écrit André Saraiva dans A Graffiti Life. Selon son estimation, il a peint Mr. A plus de 216 000 fois : sur des devantures, des boîtes postales, des panneaux de signalisation et des camions de livraison à Paris, sur des cabines téléphoniques et des châteaux d’eau à New York et sur le mur d’enceinte du Château Marmont, l’hôtel de Los Angeles où il a longtemps eu ses habitudes : « Je faisais des dessins sur leur papier à lettre pour payer mes longs séjours ! »
Le graffiti, ce « crime merveilleux »
André Saraiva est né en 1971 en Suède. Ses parents, portugais, ont fui la dictature de Salazar et trouvé refuge à Uppsala, une ville universitaire au nord de Stockholm et le lieu de naissance d’Ingmar Bergman. « C’est une sorte de paradis pour les enfants. Ils vous laissent être créatif, vous balader et peindre. » Mais cet épisode nordique est de courte durée : à l’âge de dix ou onze ans, le garçon s’installe avec sa mère à Paris.
Dans la France mitterrandienne du milieu des années 1980, il découvre les artistes de la figuration libre – Robert Combas, Hervé Di Rosa, Jean-Michel Basquiat – et achète sa première œuvre : un t-shirt Keith Haring. Une éducation artistique qui le mène naturellement au graffiti. A quatorze ans, il écume déjà les rues de la capitale, bombe en main, et tague son prénom sur les murs jusqu’à vingt fois par nuit. Pris sur le fait dans une station de métro, il est un jour malmené par la police et arrêté. Une expérience qui renforcera son goût pour la peinture et la rébellion.
« Dès que je suis sorti du poste de police, je suis retourné à la station de métro et j’ai de nouveau tagué », se souvient-il. « C’est un peu comme quand on tombe de cheval ; vous devez remonter en selle, sinon vous avez peur et vous êtes marqué à vie. » En clin d’œil à ces années passées à jouer au chat et à la souris avec les forces de l’ordre, l’artiste a inclus dans son livre ses « diplômes » : contraventions et convocations au tribunal pour détérioration ou vol de mobilier urbain. Sans argent pour acheter des toiles, il empruntait des portes et des panneaux !
La ville comme terrain de jeu
En 2015, un tag dans le parc national de Joshua Tree en Californie lui vaudra une amende de 275 dollars. Mais la plupart de ses œuvres sont aujourd’hui légales. « Maintenant, les gens me demandent de peindre leurs murs ! » Comme cette fois où il a investi les toilettes des femmes du musée d’Art contemporain de Los Angeles dans le cadre de l’exposition Art in the Streets. Où lorsqu’il a peint son personnage signature sur la façade des Galeries Lafayette à Paris le temps d’une performance aérienne.
Le street artiste a depuis collaboré avec Adidas, Agnès B., la marque de prêt-à-porter et d’accessoires Bally, Converse, Longchamp, Sonia Rykiel, Uniqlo et le label Off-White de son ami américain Virgil Abloh, décédé en novembre dernier. Il a aussi signé une série de bouteilles et d’étiquettes pour le producteur de rosé varois Château La Tour de l’Evêque et rassemblé une collection capsule pour Smiley à l’occasion du cinquantième anniversaire de la marque au sourire.
Il y a peu, il rencontrait en Californie la veuve de Charles Schulz, le papa de Snoopy, et associait – avec sa bénédiction – Mr. A et le célèbre beagle. En visitant les archives du dessinateur américain, « j’ai découvert que nous avions tous les deux une fascination pour George Herriman et Krazy Kat, qui est mon comic préféré. J’ai aussi remarqué que les croquis de Schulz avaient des lignes tremblantes, tout comme les miens. Partager des similitudes avec Schulz m’a rendu très fier. J’espère que Mr. A jouera un jour dans la même ligue, qu’il pourra exister par lui-même et être aussi aimable que Snoopy. »
Article publié dans le numéro de juillet 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.