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Les empereurs français du sourire

Le smiley est né aux Etats-Unis, mais un Français avec un talent pour les affaires s’en est approprié les droits, il y a cinquante ans cette année. Franklin Loufrani et son fils Nicolas sont aujourd’hui à la tête d’un empire international du merchandising.
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Franklin Loufrani (à gauche) et son fils Nicolas, le président de The Smiley Company. © Florence Moncenis

Dans les grands magasins américains Nordstrom, le sourire jaune se voyait comme le nez au milieu de la figure. Il apparaissait sur des chemises, des tapis, des pyjamas, des sacs de plage et des sacs de sport, des boucles d’oreilles, des valises et des flacons de parfum. Il ornait aussi une marinière Saint James, un short de bain Vilebrequin et une robe Alice + Olivia à 1 495 dollars. Spécialiste des licences et des produits dérivés, Franklin Loufrani a mis le paquet pour fêter le cinquantième anniversaire de sa marque.

« Nous avons lancé une énorme opération chez Nordstrom aux Etats-Unis, avec plus de trente créateurs partenaires, et nous sommes dans tous les grands magasins du monde », claironne le fondateur de The Smiley Company. Les célébrations ont débuté en février aux Galeries Lafayette à Paris, avec l’installation d’un énorme ballon jaune en forme de smiley sous la coupole du grand magasin du boulevard Haussmann, avant de s’étendre à Pékin, Shanghai, Dubaï, Djakarta et Berlin. Le slogan de cette campagne internationale ? « Prenez le temps de sourire ! »

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Le logo de The Smiley Company sous la coupole des Galeries Lafayette à Paris. © Paul Blind

« Aujourd’hui plus que jamais, les gens ont besoin de positif et d’optimisme », explique le Français de 79 ans, qui a fait de la joie de vivre son fond de commerce. En 1971, alors responsable de la propriété intellectuelle au sein du groupe Hachette à Paris, il approcha Pierre Lazareff, le directeur du journal France-Soir. « Vous ne vendez que des mauvaises nouvelles », lui reproche- t-il. « Les Français ne sont jamais contents. Je vous propose donc de faire une campagne contre la morosité et de publier des bonnes nouvelles. »

Le vieux patron de presse est dubitatif : l’actualité est monopolisée par la guerre au Vietnam, la valse des régimes sud-américains, le débat sur l’avortement en France et les mouvements de protestation ouvriers et étudiants. Pas du genre à se laisser démonter, Franklin Loufrani précise son idée : « On va signaler les bonnes nouvelles qui se trouvent dans le journal ; il y en a à la page des sports, à la page des spectacles… » Avant de dessiner dans les marges un rond avec une bouche et des yeux. « Voilà ce que ça donnerait. 

Une pause sourire

La campagne est lancée le 1er janvier 1972. « A partir d’aujourd’hui et pendant les mois qui viennent, vous verrez ce sourire se promener dans les colonnes de France-Soir », annonce un encadré publié en une. « Il sera là, symboliquement, pour attirer votre attention sur les nouvelles qui, au milieu des soucis et des catastrophes dont l’actualité est souvent faite, représentent un espoir ou simplement un répit. » En clin d’œil, deux yeux et un sourire apparaissent dans le « o » de France-Soir.

Un graphiste américain, Howard Ball, aurait dessiné le premier smiley jaune en 1963, à la demande d’une compagnie d’assurance du Massachusetts souhaitant remonter le moral de ses employés. (Il recevra 45 dollars pour son travail.) Deux yeux en tête d’épingle, un large sourire prolongé par des commissures : le symbole, aussi simple qu’efficace, conquit l’Amérique anticonformiste des années 1960 et attira l’attention de deux frères de Philadelphie. Ceux-ci associèrent le logo au slogan « Have a happy day » et écoulèrent quelque 50 millions de pin’s en 1971 !

Le smiley original a repris du service en 2021 pour une collection capsule du grand magasin brésilien Hering. © Hering
Pour fêter son cinquantième anniversaire, Smiley s’est associé à plus de trente marques de par le monde, dont les Bretons de Saint James. © Saint James
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« Prenez le temps de sourire ! » Le slogan écrit par Franklin Loufrani en 1972 s’affiche chaque année sur 15 000 nouveaux produits dérivés. © Happy Socks
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Smiley collabore depuis 2017 avec la marque de vêtements californienne MA®KET. © MA®KET

Un de ces emblèmes de la contre-culture a-t-il atterri sur le bureau de Franklin Loufrani ? C’est possible. Mais quand il parle du smiley, il dit « mon sourire ». « Il y a certainement des gens dans les cavernes il y a 2 000 ans qui ont dessiné un rond avec une bouche et deux yeux », concède l’homme d’affaires prénommé en hommage au président Roosevelt, « mais ce n’est pas tout de faire un dessin ». Pour faire fructifier une idée, il faut la protéger. En 1972, il dépose le dessin à l’Institut national de la propriété industrielle, s’en appropriant légalement les droits.

15 000 nouveaux produits chaque année

Franklin Loufrani et son fils Nicolas, le président de The Smiley Company, dirigent aujourd’hui une des plus grandes entreprises de licences au monde. Avec des dépôts de marques dans 140 pays et 555 millions d’euros de ventes en 2020, ils multiplient les collaborations avec Jean-Charles de Castelbajac, New Era, Lee ou encore Reebok et impriment leur bonne humeur sur tous les supports imaginables, des lunettes de soleil aux nuggets de poulet. A Londres, où la société a son siège, et à l’étranger, une armée d’avocats entretient les licences et fait une chasse agressive aux contrefaçons. « C’est parce que je suis connue qu’on me copie, disait Madame Chanel », lance le père. «Moi, je suis très connu. Deux milliards et demi de gens connaissent mon logo ! »

Le sourire jaune a été adopté par le monde entier, mais jusqu’en 1996, il n’avait pas de nom : on l’appelait frimousse en France, binette au Québec et happy face ou yellow face dans les pays anglophones. « Il fallait qu’on donne un nom à notre emblème », se souvient Franklin Loufrani. « Quand vous entrez dans un magasin, vous ne demandez pas un polo avec un crocodile, mais un polo Lacoste. » Impossible de déposer le mot smile, considéré comme un terme générique. C’est ainsi que le mot smiley est né.

Dans la foulée, Nicolas Loufrani adapte le logo à l’ère du numérique et lui donne une panoplie d’émotions : joie, tristesse, peur, colère, surprise… « Un nouveau langage universel », précurseurs des émojis, offert en open source aux premiers opérateurs de téléphonie mobile. « Nous avons utilisé le portable et l’Internet comme d’autres marques utilisent un panneau d’affichage, pour assoir la notoriété de notre marque », témoigne son père. « On vit aujourd’hui dans un monde épouvantable. Alors si les gens prennent le temps de se donner des bonnes nouvelles et de s’envoyer des smiley, pour nous c’est gagné. »

 

Smiley: 50 Years of Good News de Liam Aldous, Assouline, 2022.

 

Article publié dans le numéro de mai 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.