Des révolutions de toutes les couleurs

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« Révolution des parapluies » : tel est le nom qui a été donné au mouvement d’occupation des rues de Hong Kong en septembre et octobre 2014. Assurément, les étudiants de l’ancien territoire britannique ont trouvé un symbole original, l’accessoire les protégeant des jets de gaz des policiers, pour défier les autorités chinoises. Leur action n’était pas sans rappeler celle qu’avaient imaginée en juillet 2011 les Israéliens pour dénoncer le coût prohibitif du logement dans leur pays. Le centre de Tel-Aviv ayant pris l’allure d’un vaste camping, on avait parlé de « révolte des tentes« .

L’habitude a été prise, depuis quelques années, d’affubler de termes imagés pour ne pas dire fantaisistes les soulèvements populaires qui surgissent ici ou là à travers le monde.

On se souvient des noms de couleur ou de fleur donnés aux mouvements qui se sont développés dans les sociétés post-communistes d’Europe centrale et orientale ainsi qu’en Asie centrale : « révolution des roses » en Géorgie en 2003, « révolution orange » en Ukraine en 2004, « révolution des tulipes«  au Kirghizistan en 2005. Les arbres n’ont pas été oubliés puisque l’on a baptisé « révolution du cèdre » les actions de protestation qui ont eu lieu au Liban après l’assassinat, en février 2005, de l’ancien Premier ministre Rafik Hariri. Bahreïn, pour sa part, a eu sa « révolte de la Perle«  en mars 2011. Autant que le symbole du pays, ladite perle est le nom de la principale place de Manama, la capitale de l’émirat, où se réunissaient les manifestants réclamant un régime démocratique.

Personne n’a oublié les précédents que furent la « révolution des œillets » de 1974 au Portugal et celle de « velours » en Tchécoslovaquie en 1989. On songe également à la « révolution culturelle » en Chine, qui fut en réalité un massacre ; l’expression dévoyée est aujourd’hui passée dans le langage courant, et couramment employée par des journalistes ayant oublié sa sinistre origine. Récemment encore, en juillet 2014, on a surnommé « révolution des hortensias«  – parce qu’ils fleurissent l’été au Japon – la mobilisation des Tokyoïtes contre le redémarrage des centrales nucléaires sur l’archipel nippon.

Que retiendra l’Histoire des événements que l’on vient de citer ? Probablement peu de choses au regard de leur portée. Quand les révolutions sont de vraies révolutions, c’est-à-dire qu’elles se traduisent par un changement radical d’ordre politique et social, ce qui n’arrive pas tous les jours, elles n’ont pas besoin de noms symboliques. La Révolution américaine (à partir de 1763), la Révolution française (1789), la Révolution russe (1917) ou la Révolution iranienne (1979) produisirent de tels bouleversements et eurent un tel retentissement qu’on peut même se passer de rappeler leur date. Moins spectaculaire, la « révolution tranquille » qui a marqué le Québec des années 1960 a néanmoins constitué une rupture importante dans l’histoire de la Belle Province.

Et puis est venu le « printemps arabe« , dont le détonateur a été le soulèvement du peuple tunisien contre le régime autocratique de Zine el-Abidine Ben Ali et la fuite à l’étranger de ce dernier, en janvier 2011. La référence étant, on le sait, le « printemps des peuples« , cet ensemble de mouvements révolutionnaires qui a ébranlé l’Europe au milieu du XIXe siècle. On a un peu oublié qu’un pays arabo-musulman, l’Algérie, avait eu son « printemps berbère » en 1980. Organisées en Kabylie et à Alger, des manifestations réclamant la reconnaissance de la culture et de la langue amazighes avaient été réprimées avec une grande brutalité.

Plus pacifiquement, les Québécois ont vécu leur « printemps érable« , une grève universitaire longue de trois mois, en 2012. Et certains ont même utilisé en 2013 l’expression « printemps français » lorsque des militants chrétiens se sont mobilisés contre la loi Taubira instituant le mariage homosexuel.

Voici qu’aujourd’hui, après le soulèvement du peuple burkinabè d’octobre 2014, on commence à parler de « printemps noir » en imaginant que l’exemple du Burkina Faso fera tache d’huile en Afrique subsaharienne. Outre qu’on a là affaire à une région du monde où les saisons n’ont rien à voir avec celles des latitudes tempérées ou méditerranéennes, un tel syntagme rappelle de très mauvais souvenirs. La Kabylie, encore elle, a eu son « printemps noir » lorsque des émeutes, déclenchées en avril 2001, furent noyées dans le sang par l’armée algérienne. Et la même appellation fut reprise pour désigner la répression qui s’abattit sur des dissidents cubains en 2003.

Si, dans le cas du Burkina, on tient vraiment à reprendre l’image de printemps, mieux vaudrait accoler à ce dernier un autre qualificatif. Pourquoi pas vert-jaune-rouge, les couleurs du pays mais aussi celles du panafricanisme ?

Retrouvez tous les mois dans France-Amérique la chronique de Dominique Mataillet sur le langage dans la rubrique « Le français tel qu’on le parle ».