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Agnès Riva : amour, état des lieux

Dans son premier roman, Agnès Riva raconte une relation adultère à partir des endroits banals et impersonnels où se retrouvent les amants. Un texte à l’écriture blanche, récemment traduit en anglais, qui regarde du côté d’Annie Ernaux.
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© Francesca Mantovani

Elle s’appelle Ema, le prénom, à une lettre près, de l’héroïne de Flaubert. Lui se nomme Paul, il est parfois simplement désigné comme « l’homme ». On ne sait pas grand-chose d’eux, sinon qu’ils travaillent dans un conseil des prud’hommes et se sont rencontrés dans leur milieu professionnel. Chacun est marié de son côté et leur relation est, a priori, parfaitement encadrée. C’est du moins ce que dit Paul à Ema au début de leur histoire, puisqu’il a une certaine habitude de l’adultère. Dans l’habitacle rassurant de sa voiture à lui, extension de son domicile, il laisse négligemment sa main glisser sur le genou de la jeune femme, d’un geste de propriétaire. Ema, qui aime Françoise Sagan et se « fait une idée fort romanesque des relations amoureuses », attend peut-être davantage de cette histoire, un antidote à l’univers sans surprise où elle évolue. Au fil des semaines, l’extraordinaire s’érode pour faire place au banal, dans la grisaille d’une banlieue sans âme.

Bref premier roman, Géographie d’un adultère raconte l’évolution d’un amour dont on sait, dès le début, qu’il a pris fin. Adoptant le point de vue d’Ema, Agnès Riva observe les amants avec une précision d’entomologiste. Chaque chapitre se déroule dans un lieu différent : la voiture de Paul, un recoin de la maison d’Ema exactement situé entre l’évier et le frigidaire, la chapelle d’un monastère, le salon de thé d’un centre commercial ou un appart’hôtel. La froideur de ces terrains neutres contraste avec la tempête intérieure d’Ema et met cruellement en évidence le fossé qui se creuse entre ses aspirations et la triste réalité de cet amour balisé, sans surprise.

L’écriture est blanche et minutieuse, de plus en plus distanciée à mesure qu’Ema se détache de ses rêves préfabriqués. On pense à Annie Ernaux, pour la description clinique des sentiments et le décor de lotissements sorti de terre dans les années 1980, où toutes les maisons se ressemblent. À rebours de tout effet spectaculaire, Agnès Riva inscrit cette liaison singulière dans l’histoire collective, convoquant, à travers le passé de Paul et Ema et l’extrême banalité des lieux, une sociologie des classes moyennes en France. Teinté d’un humour subtil, Géographie d’un adultère sonne comme
la revanche d’une Madame Bovary de banlieue.

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Géographie d’un adultère d’Agnès Riva, Gallimard, 2017. 128 pages, 13,50 euros.


Article publié dans le numéro d’avril 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.