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Frédéric Beigbeder : « Les lunettes et les cheveux longs, ça fait snob »

Rencontre avec l'écrivain Frédéric Beigbeder, auteur de 99 francs et Windows on the World, à l'occasion de la première édition du Festival of New French Writing, à New York University.

Du 26 au 28 février, New York University accueille le Festival of New French Writing, un cycle de rencontres littéraires entre auteurs français et américains, mis sur pied par Cultures France, préparé par le journaliste français Olivier Barrot et l’universitaire américain Tom Bishop et coorganisé par les services culturels de l’ambassade de France. Olivier Rolin et E.L. Doctorow ont été choisis pour donner le coup d’envoi du festival, qui accueille également Frédéric Beigbeder, Emmanuel Carrère, Bernard-Henri Lévy et Marie Darrieussecq côté français. Côté américain, on retrouvera Adam Gopnik, Edmund White, Chris Ware et Philip Gourevitch.

Un dandy à New York. L’appellation lui colle à la peau, mais il s’en fiche pas mal. Frédéric Beigbeder, ancien fils de pub reconverti dans la littérature, demeure à 43 ans l’enfant terrible de l’intelligentsia parisienne. Né à Neuilly dans une famille bourgeoise, icône du Quartier latin, Frédéric Beigbeder – qui a publié son premier roman, Mémoire d’un jeune homme dérangé (Table Ronde, 1999) à 24 ans – est aussi connu pour son écriture provocatrice que pour son noctambulisme forcené. Auteur, journaliste et homme de télévision, il rencontrera dans le cadre du festival le journaliste et essayiste américain Paul Berman, au cours d’une discussion animée par Tom Bishop.


France-Amérique
: Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Frédéric Beigbeder : Je travaille à l’écriture d’un nouveau roman autobiographique. J’ai souvent parlé de moi dans mes romans, sous différents pseudonymes. Cette fois, je me mets en scène en tant que Frédéric. C’est difficile de parler d’un livre avant de l’avoir finalisé, mais en gros, j’essaye d’y dire des choses sur mon enfance. Par ailleurs, je continue mes chroniques pour Lire, j’écris pour GQ, Femmes et d’autres magazines. Et j’anime une émission sur Canal+, Le Cercle, où les gens viennent s’étriper au nom de la littérature.

Vous êtes, je crois, un grand habitué de New York ?

J’y viens effectivement souvent, au moins une fois par an. La dernière fois, c’était à Noël. J’ai fait un échange d’appartements avec mon copain Jay McInerney [écrivain américain, auteur de Bright Lights, Big City et Story of My Life). Il se trouve que j’ai une grand-mère new-yorkaise, Grace Carthew, qui a donné son nom au héros de Windows on the World [roman paru en 2003, lauréat du prix Interallié, qui raconte les dernières minutes vécues à l’intérieur du World Trade Center : c’est le seul de ses romans traduit aux Etats-Unis]. Figurez-vous qu’à travers elle, je descends d’un président américain – Je ne sais plus lequel, par contre… Jackson, peut être ? – et d’un fameux trappeur nommé Daniel Boon.

Quels auteurs américains vous ont particulièrement influencé ?

J’admire les romanciers américains pour leur capacité de construction et le regard réaliste qu’ils posent sur leur époque. Je remarque que la littérature française, qui s’est longtemps focalisée sur les ruptures de formes, revient à un roman, disons, plus balzacien, par le truchement de l’influence américaine. C’est très frappant. Plus personnellement, je suis assez sensible à l’univers de Francis Scott Fitzgerald, parce que j’ai cette même fascination pour les riches déprimés en smoking, et Truman Capote, l’inventeur de la narrative nonfiction [avec De sang froid, paru en 1967], qui m’a beaucoup influencé sur un travail dans Windows on the World. J’ai été aussi traumatisé par J.D. Salinger et L’Attrape-cœurs, jusqu’à réaliser pour la chaîne Canal Jimmy un documentaire sur sa vie. Il y a aussi bien sûr Bret Easton Ellis [dont le plus célèbre roman, American Psycho, paru en 1991, a fait l’objet d’un film en 2000] pour son ironie et sa violence. Pour sa manière cynique de décrire les aberrations d’une société de consommation consumante.

Dont les Etats-Unis payent le prix aujourd’hui ?

Oui, je me dis que si on avait écouté les auteurs comme Bret Easton Ellis, on n’en serait sans doute pas arrivé à cette crise terrible. Ils avaient prédit que cette ère de frénésie superficielle ne pouvait pas durer. Il faut écouter les auteurs, les « voyants », comme disait Rimbaud.

Vous faites vous-même tout à fait partie de ce tourbillon superficiel et mondain… Vous vous êtes assagi ?

Ca dépend des jours ! Ce qu’il y a de bien avec le métier d’écrivain, c’est qu’on a une excuse pour faire toutes les conneries possibles. On doit expérimenter pour raconter. Je ne pense pas qu’un écrivain doive être un sain ou un exemple.

Qu’est-ce qu’un grand écrivain ?

C’est quelqu’un qui a réussi à dire son histoire avec une langue unique et nouvelle. Quelqu’un qui a su créer sa propre musique et imposer son monde, immédiatement reconnaissable.

On vous qualifie toujours de dandy ou de dilettante. Ca vous énerve ou ça vous flatte ?

Je m’en fous. Mais soyons précis sur les termes : un dandy dans l’acception première, c’est quelqu’un qui veut faire de sa vie une œuvre d’art. C’est vrai que ça me parle. Mais le terme lorsqu’il est utilisé dans la presse en général fait plutôt référence à un garçon snob, bien habillé et énervant. Ce qui pourrait aussi répondre à ma description… Quoique je ne fasse pas tellement plus que d’autres attention à la façon dont je m’habille… Je crois que ce sont mes lunettes qui m’ont desservi pendant des années : les lunettes et les cheveux longs, ça fait snob. Depuis que je me suis fait opérer de la myopie, on me trouve plus sympa.

C’est bientôt la Saint-Valentin, alors parlons d’amour. Vous avez écrit un livre qui s’intitule L’amour dure trois ans dans lequel vous faites un constat pessimiste des relations amoureuses…

Je suis obsédé par la disparition du sentiment amoureux dans notre société, depuis le début du XXe siècle. L’utilisation des techniques de séduction de masse et de suggestion forcée du désir a dénaturé notre rapport à l’autre, faisant de nous d’éternels insatisfaits. Difficile de construire quoi que ce soit aujourd’hui alors que l’idée même de constance a du plomb dans l’aile. Le monde actuel est organisé pour détruire l’amour et rendre flou le lien entre des êtres interchangeables. Avec la fin des grandes utopies du XXe siècle, le capitalisme et son individu vorace avaient pris toute la place. Depuis septembre, le capitalisme est lui-même remis en question. Alors il va falloir trouver autre chose. De plus en plus de gens rêvent de fuir vers un pays chaud, où l’on vit avec 10 dollars par jour. On peut s’amuser à imaginer dans les années à venir un exode massif vers les pays du Sud.


Festival of New French Writing
Du 26 au 28 février 2009
New York University
Vanderbilt Hall