Dès le lendemain de la Coupe du monde, l’Elysée a annoncé que les vingt-trois joueurs de l’Equipe de France seront décorés de la Légion d’honneur. Jugeant qu’il serait déplacé de remettre une décoration aussi prestigieuse à des footballeurs la même année que la célébration du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, le maire d’un village de la Haute-Saône a demandé aux joueurs de refuser l’honneur. L’élu estime que Kylian Mbappé et les autres joueurs sont trop jeunes pour apprécier une telle accolade. « Recevoir cette médaille à vingt ans […] serait indécent », a-t-il déclaré. « Il faut arrêter de la donner à tout-va. » C’est une critique fréquente. La plus ancienne distinction française, créée par Napoléon en 1802, a perdu son prestige. On la distribue « comme une médaille en chocolat », affirment certains. Chaque année, près de 1 500 citoyens français et étrangers reçoivent la Légion d’honneur. Que dire de la médaille de l’Ordre national du Mérite, décernée à 5 000 personnes chaque année, ou de l’insigne des Palmes académiques, annuellement remis à 11 635 enseignants et professeurs ?
Chaque président a essayé de « mettre un peu d’ordre dans le maquis des médailles », témoigne Olivier Menut, avocat à Reims, phalériste amateur et auteur d’un ouvrage sur les médailles françaises. La France reste cependant « l’un des pays occidentaux le plus prolixe en termes de décorations ». En haut de la liste, on trouve deux ordres nationaux (l’Ordre national de la Légion d’honneur et l’Ordre national du Mérite), quatre ordres ministériels (l’Ordre des Palmes académiques, l’Ordre du Mérite agricole, l’Ordre du Mérite maritime et l’Ordre des Arts et des lettres). Une stricte hiérarchie régit ces ordres : on commence, sauf cas particulier, au rang de chevalier avant de s’élever en grade (officier, commandeur) puis en dignité (grand-officier et enfin grand-croix). A un échelon moindre, on trouve trente-deux médailles ministérielles et autres décorations. Parmi elles, la médaille d’honneur pour Actes de courage et de dévouement, établie en 1816, la médaille d’honneur des Eaux et forêts, l’insigne des Blessés civils, la médaille de la Famille, la médaille de l’Aéronautique, la médaille d’honneur des Transports routiers ou encore la médaille du Tourisme, instaurée en 1989.
Limiter la prolifération des décorations
Chaque nouvelle décoration doit être approuvée par la Grande chancellerie de la Légion d’honneur – l’institution garante des ordres et des décorations françaises – et fait l’objet d’un décret publié au Journal officiel. La médaille de la Sécurité intérieure, proposée par le ministère de l’Intérieur, a été établie en 2012 et la médaille nationale de Reconnaissance aux victimes du terrorisme, une initiative du président François Hollande, a été officialisée en 2016. En revanche, la médaille du Bénévolat associatif a été refusée. A la place, la médaille de la Jeunesse et des sports a été « élargie » et renommée « médaille de la Jeunesse, des sports et de l’engagement associatif». Une manière de récompenser les bénévoles tout en limitant la prolifération des décorations.
En 1963, après deux guerres mondiales et deux guerres de décolonisation, l’ordre de la Légion d’honneur comprenait plus de 320 000 membres vivants. Pour mettre fin à cette inflation qui portait atteinte au prestige de la médaille, Charles de Gaulle fixa à 125 000 le nombre maximum de décorés vivants (ils sont 92 000 aujourd’hui). A la même période, le président instaura l’Ordre national du Mérite. La nouvelle médaille, surnommée « la bleue » en référence à la couleur de son ruban, remplaça dix-sept ordres dont le Mérite postal et le Mérite saharien. Ces ordres ont été « placés en extinction » : leurs insignes ne sont plus décernés, mais ils sont encore portés.


Emmanuel Macron a lui aussi essayé de freiner la distribution de médailles. Il a décidé en novembre dernier de réduire d’un quart le contingent des ordres nationaux et ministériels. La dernière promotion de la Légion d’honneur, celle du 14 juillet 2018, compte 392 noms (contre 500 à 600 habituellement) et respecte la parité hommes-femmes en vigueur depuis 2008. Les critères d’attribution restent les mêmes – justifier de vingt ans de services exemplaires, avoir un casier judiciaire vierge et une « bonne moralité » – mais le profil des légionnaires se diversifie. Ils sont plus jeunes et représentent de nouveaux corps de métiers. Dans la dernière promotion figurent sept anciens ministres et deux ambassadeurs, mais aussi un verrier, un chocolatier, une géographe, une gynécologue, un auteur de livres pour enfants et une interprète en langue des signes
Identifier les plus méritants
« La Légion d’honneur ne se demande pas », insiste la Grande chancellerie de la Légion d’honneur, à Paris. C’est aux ministres d’identifier les futurs décorés. Ils sont assistés au niveau local par les sénateurs et les députés, par les maires, les présidents d’associations, de syndicats et de clubs sportifs. Depuis 2008, tout citoyen peut nominer une personne qu’il juge digne dans l’Ordre national de la Légion d’honneur ou l’Ordre national du Mérite. Pour ce faire, il doit rassembler la signature de cinquante citoyens majeurs résidant dans le même département que la personne proposée. C’est le principe de « l’initiative citoyenne ».
Le conseil de l’ordre national de la Légion d’honneur, qui rassemble les dossiers, enquête sur « l’honorabilité et la moralité » de chaque candidat. Quinze pour cent des nominés sont généralement écartés. Avoir été condamné à plus d’un an de prison ferme ou avoir commis des actes « contraires à l’honneur » ou « de nature à nuire aux intérêts de la France » sont des motifs de rejection (et de retrait de la médaille). C’est ainsi que Lance Armstrong et Harvey Weinstein ont perdu leur distinction. La liste définitive des nominés est validée par le président de la République, nommé grand maître de l’Ordre national de la Légion d’honneur au moment de son installation. Il peut retirer des noms mais ne peut pas en ajouter. Une fois signés par le président, les décrets de nomination et de promotion sont publiés au Journal officiel le 1er janvier et le 14 juillet de chaque année.
Il appartiendra ensuite à chaque médaillé d’acheter son insigne et d’organiser sa cérémonie. La médaille est traditionnellement offerte par un « parrain », la famille, voire l’employeur. Plusieurs joailliers vendent les décorations : la Monnaie de Paris, la maison Bacqueville dans le premier arrondissement, la maison Mouret à Avignon, ou encore la maison Arthus-Bertrand, qui possède neuf boutiques en France. Le douzième modèle de la médaille de chevalier de la Légion d’honneur est une étoile à cinq rayons doubles en argent émaillé avec en son centre un médaillon en or représentant un profil de Cérès, déesse romaine de l’agriculture et symbole de la République. « Par souci d’économie », observe le phalériste Robert Seniso, «l’argent est souvent remplacé par du zamak – un alliage de zinc, d’aluminium, de magnésium et de cuivre – et l’émail par de la résine plastique ». Comptez 50 euros pour une médaille en « bronze argenté » et 175 à 210 euros pour un modèle en argent massif.
Les Américains épinglés
Toutes les décorations ne sont pas réservées aux citoyens français. Pendant l’Empire, mariages, alliances et traités internationaux étaient scellés par un échange de médailles. Le 22 juillet 1853, le docteur Thomas W. Evans, dentiste et confident de Napoléon III, fut le premier Américain à recevoir la croix de chevalier de la Légion d’honneur. « J’espère que vos amis en Amérique comprendront à quel point vous nous êtes cher », aurait dit l’empereur en lui épinglant l’insigne au côté gauche.
Chaque année, 350 Légions d’honneur et 340 médailles de l’Ordre national du Mérite sont réservées aux étrangers. Le ministre des Affaires étrangères, qui présente leur dossier de nomination, s’appuie sur les ambassadeurs et les consuls pour identifier les candidats. Les étrangers reçoivent les insignes de l’Ordre national de la Légion d’honneur, mais seuls les citoyens français en deviennent membres. Une condition voulue par Napoléon, qui s’est inspiré des ordres de chevalerie du Moyen Age pour reconstituer une noblesse après la Révolution. Plus de 11 000 Américains, artistes, mécènes et militaires, ont été décorés de la Légion d’honneur depuis 1938. Citons notamment Kirk Douglas, Toni Morrison, David Lynch et Quincy Jones, John Kerry, Stephen Schwarzman, Tom Bishop et David Petraeus. Meryl Streep, Jim Jarmusch et John Waters, Ray Bradbury, William Burroughs, Iggy Pop et Pharrell Williams ont quant à eux été décorés de la médaille des Arts et des Lettres. Bob Dylan porte les deux décorations.
A l’occasion du soixantième anniversaire du Débarquement de Normandie, le président de la République a décidé de remettre la Légion d’honneur à l’ensemble des anciens combattants ayant participé à la libération du territoire national lors de la Deuxième Guerre mondiale. Plus de 7 000 soldats américains ont déjà reçu la médaille, souvent lors de cérémonies collectives. Emmanuel Macron a décoré trois vétérans au cours de sa visite officielle à Washington en avril dernier. Depuis sa prise de fonction il y a un an, le consul général de France à Chicago Guillaume Lacroix a remis la Légion d’honneur à dix-huit anciens combattants américains
Une confrérie
Les légionnaires résidant aux Etats-Unis se réunissent au sein de la Société américaine de la Légion d’honneur française. L’association d’entraide, fondée en 1924 et présidée par l’homme d’affaires franco-américain Guy Wildenstein, compte aujourd’hui 1 456 membres dont plus de mille vétérans de la Deuxième Guerre mondiale.
Les médailles sont généralement arborées lors d’évènements officiels. Les autres jours, une rosette ou un ruban porté sur le revers gauche d’une veste ou d’un tailleur rappelle la couleur de la décoration. Ces ornements sont peu portés aux Etats-Unis, mais sont courants en France. « Observer les rubans ou les médailles que porte une personne permet de se faire une idée de qui elle est », témoigne Robert Seniso. « C’est un signe de reconnaissance ; on se regarde et on se dit que l’on fait partie de la même confrérie. »
Article publié dans le numéro d’octobre 2018 de France-Amérique. S’abonner au magazine.