Livres

Benoît Cohen : l’Amérique comme terre de fiction

Cinéaste et producteur, Benoît Cohen a réalisé six longs métrages dont Caméléone, Nos enfants chéris, Qui m’aime me suive et Tu seras un homme, primé dans plusieurs festivals américains. Depuis son installation à New York en 2014, il a écrit trois livres : Yellow Cab et Mohammad, ma mère et moi, tous deux traduits en anglais, et Le prix du paradis, qui vient de paraître en France. Il raconte à cette occasion comment il s’est réinventé en Amérique.
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Courtesy of Benoît Cohen

En quittant New York au début des années 1990 après une année passée à étudier le cinéma à New York University, Benoît Cohen s’était juré de revenir. Il avait 22 ans et venait de réaliser un court métrage, There Must Be Some Way out of Here, l’histoire d’un homme qui engage un tueur pour en finir avec la vie. Trente ans plus tard, il a développé cette idée dans Le prix du paradis, un roman dont le personnage principal est une rédactrice de mode milliardaire, poursuivie par les deux flingueuses qu’elle a payées pour la supprimer. On retrouve dans cette comédie policière le mélange des genres qu’il affectionne : un humour grinçant dans l’esprit des frères Coen, un soupçon de romance, des réflexions sur les utopies et les inégalités sociales, et un clin d’œil aux mythiques studios de Tucson, dans l’Arizona, où ont été tournés de nombreux westerns.

Benoît Cohen était réalisateur et producteur, New York l’a transformé en écrivain et chauffeur de taxi. En 2014, après vingt-cinq années parisiennes pleinement consacrées au cinéma, il réalise son rêve américain en emménageant dans une maison à Brooklyn avec sa femme, la comédienne, réalisatrice et autrice Eléonore Pourriat, et leurs deux enfants, alors âgés de treize et seize ans. « Depuis notre voyage de noces à New York, Eléonore m’en parlait tous les ans », explique-t-il. « Il y a sept ans, alors qu’elle était sur le point de faire un film pour Netflix, nous nous sommes dit que le moment était venu. » A la même période, le dernier long métrage de Benoît Cohen, Tu seras un homme, remporte plusieurs prix dans les festivals américains. Quelques mois seulement après son installation, le réalisateur s’inscrit dans une école de taxis du Queens avec l’idée de faire des repérages pour un film. Après avoir bataillé contre de nombreux obstacles administratifs, il obtient enfin sa licence. Le 4 janvier 2016 à 7h50, il charge ses premiers passagers à Chelsea, à l’angle de la 19e Rue Ouest et de la 8e Avenue.

Pendant six mois en 2016, Benoît Cohen sera chauffeur de taxi à New York. Une expérience qu’il relate dans son livre Yellow Cab.

Sillonnant pendant six mois tous les quartiers de New York avec son regard de cinéaste et un enregistreur sur le siège passager, il apprend le métier, récolte quelques contraventions et découvre la ville dans toute sa diversité géographique et sociale. « On côtoie tous les genres, tous les styles vestimentaires, des gens venus de tous les pays. La fiction est partout. » Le projet de film se transforme en livre, Yellow Cab (récemment adapté en bande dessinée en France), un récit parsemé d’extraits de son journal de bord, dans lequel il confie ses doutes. « Je prétends être chauffeur de taxi alors que je ne connais pas vraiment la ville et que je suis, la plupart du temps, obligé de me fier à mon GPS pour amener mes passagers à bon port », écrit-il. « Mais n’est-ce pas le cas de la plupart des drivers croisés sur ma route ? […] Certains font ce métier depuis plusieurs années et maîtrisent mieux leur sujet (surtout ceux d’avant l’ère GPS) mais les débutants sont tous dans la même galère. »

« Rester pour résister »

Comme beaucoup de New-Yorkais persuadés de la victoire d’Hillary Clinton, Benoît Cohen reçoit l’élection de Donald Trump, en novembre 2016, comme un « uppercut ». « Nous nous sommes posé la question de rentrer en France, mais quand on aime un pays, il faut rester pour résister. » C’est dans cette optique qu’il écrit Mohammad, ma mère et moi (2018), un livre qui répond par l’inclusion au discours d’exclusion martelé par le président américain. Dans ce récit fait d’allers et retours entre New York et Paris, il raconte comment sa mère, Marie-France Cohen, créatrice avec son mari de la marque de vêtements pour enfants Bonpoint et du concept store Merci, a accueilli un migrant afghan dans son hôtel particulier du 7e arrondissement de Paris. Confrontant son expérience de « migrant de luxe » à celle de Mohammad, interprète recruté par l’armée française puis abandonné au péril de sa vie, il dévoile un militantisme ancien qui a trouvé un écho en Amérique.

Aux premières loges pendant les manifestations Black Lives Matter, il a publié dans le magazine français America un article sur le racisme systémique aux Etats-Unis. « Je m’étonne de voir que les Français n’admettent pas qu’il existe aussi chez eux. » Marié à une féministe engagée, réalisatrice du court métrage Majorité opprimée qui imagine un monde où les hommes seraient harcelés par les femmes (une idée qu’elle développera dans le long métrage de Netflix Je ne suis pas un homme facile), il est particulièrement sensible aux changements de société provoqués par #MeToo et au fossé creusé, sur ce sujet, entre la France et les Etats-Unis : « Il existe en France de nombreuses résistances à #MeToo, liées au fameux esprit libertin français. Bien sûr qu’il y a des excès aux Etats-Unis, mais il faut en passer par là pour révolutionner le schéma patriarcal. Les différences sont énormes entre les deux pays sur la question du consentement. »

Sept ans après son arrivée aux Etats-Unis, Benoît Cohen n’a pas l’intention de rentrer en France, même si c’est là que se développent la plupart de ses projets de livres et de films. Dans le quartier cosmopolite de Fort Greene, à Brooklyn, où il a vécu deux jours de fête mémorables après l’élection de Joe Biden, il se sent chez lui et se réjouit de voir le pays renaître après des mois de confinement. Sa femme et lui ont fait la demande pour obtenir la citoyenneté et leurs deux enfants sont devenus américains en avril dernier. « Ma vie est ici : c’est à Paris que je me sens touriste. Les Etats-Unis sont un pays à la fois doux et violent, où il faut être du bon côté de la barrière. On est en permanence sur le qui-vive mais cela produit une énergie qui m’excite plus qu’elle me fait peur. »


Article publié dans le numéro de juillet 2021 de France-AmériqueS’abonner au magazine.