Le 71e festival de Cannes, qui débutera le 8 mai prochain, a interdit de compétition les films diffusés exclusivement sur une plateforme de streaming. Une polémique qui s’explique par les différences de financement du cinéma entre la France et les Etats-Unis, explique Nathalie Dupont, maître de conférence en civilisation américaine à l’Université du Littoral Côte d’Opale à Boulogne-sur-Mer.
France-Amérique : Comment analysez-vous la décision du festival de Cannes ?
Nathalie Dupont : C’est une réaction épidermique des chaînes de télévision, qui représentent une des principales sources de financement du cinéma français, qui voient en Netflix un concurrent. Les exploitants de salles, quant à eux, prennent parti contre la diffusion en streaming et dénoncent « l’impérialisme culturel » de Netflix. Aux Etats-Unis, en revanche, les plateformes de streaming ne représentent pas une concurrence aussi importante : le cinéma est financé par les studios et les compagnies indépendantes.
Cette polémique est-elle un fait français ? Un festival américain pourrait-il prendre la même décision ?
C’est un débat proprement français. En France, le cinéma est considéré avant tout comme un art et non comme une industrie. C’est l’inverse aux Etats-Unis. D’où cette distinction qui continue d’exister entre un film diffusé lors d’un festival ou en salle et un film diffusé sur le net. Au contraire, les festivals américains accueillent les films diffusés en streaming. La deuxième saison de la série Westworld (HBO) sera diffusée en avant-première lors du festival de Tribeca du 18 au 29 avril. Idem pour le film Come Sunday (Netflix), projeté en avant-première au festival de Sundance en janvier dernier et disponible en ligne depuis le 13 avril.
A l’avenir, les studios ne produiront-ils plus que des films grand public ?
Les studios hollywoodiens délaissent les films au budget moyen (entre 15 et 40 millions de dollars) au profit des blockbusters, qui permettent une sortie internationale et sont censés garantir un retour sur investissement. En 2013, pour réunir les 30 millions de dollars nécessaires à la réalisation du film Le Majordome, Lee Daniels a dû faire appel à 41 producteurs. C’est le genre de film qui serait aujourd’hui produit par Netflix. Les plateformes de streaming comme HBO (134 millions d’abonnés dans le monde), Netflix (125 millions), Amazon (44 millions) ou Hulu (17 millions) offrent aux films une exposition qu’ils n’auraient pu avoir en salles.
Les plateformes de streaming sont de plus en plus populaires, mais les revenus des salles de cinéma ne diminuent pas pour autant. Le streaming n’aurait donc aucune incidence sur la fréquentation des salles ?
Les salles maintiennent leurs revenus notamment grâce aux blockbusters. Mais les films interdits de compétition à Cannes cette année ne sont pas des films destinés aux 12-25 ans, le public qui plébiscite les franchises hollywoodiennes. Les plateformes de streaming, en revanche, rendent les films accessibles à des gens qui n’ont ni l’envie ni la culture de se rendre au cinéma.
Quelles conséquences cette polémique aura-t-elle pour le festival de Cannes ? Et pour l’industrie du cinéma en général ?
Thierry Frémaux, le délégué général du festival, a récemment annoncé des « changements » dans l’organisation. Il probablement est conscient que pour rester d’actualité, Cannes ne pourra pas continuer à refuser les films de Netflix encore très longtemps. Pour ce qui est des réalisateurs, des scénaristes et des acteurs, ils se tourneront vers le partenaire qui leur offre la plus grande aisance financière, la plus grande liberté créatrice et la plus grande audience — en l’occurrence, les plateformes de streaming. Le studio Paramount a refusé de risquer 140 millions de dollars pour un film de gangsters. Martin Scorsese s’est donc tourné vers Netflix pour produire et distribuer son dernier film, The Irishman. Le schéma traditionnel du film qui sort d’abord en salles avant d’être diffusé en ligne ou à la télévision n’existera plus dans dix ans.