En France plus que partout ailleurs, les hommes politiques passent leur temps à se chamailler et à échanger des noms d’oiseau. Pour faire étalage de leur culture, certains choisissent des termes recherchés. Ainsi n’est-il pas rare d’entendre un élu en accuser un autre de raconter des fariboles. Inspiré du latin frivolus, ce mot désigne un propos sans intérêt ni consistance. Les synonymes ne manquent pas. Balivernes, sornettes, fadaises, billevesées, inepties ont à peu près le même sens.
Nous sommes ici dans un champ lexical où le français est particulièrement riche. Même si, dans le langage courant, on se contente en général de parler de bêtises, de stupidités, d’absurdités, de sottises, d’idioties, d’âneries. Car il n’est pas facile de glisser dans une conversation ou un discours des vocables tels que calembredaines (qui a la même origine que calembour), calinotades (inspiré par Calinot, un personnage de vaudeville naïf et niais célèbre au milieu du XIXe siècle) ou coquecigrues (croisement de coq-grue et de cigogne).
D’autres termes servent à fustiger des formulations jugées confuses et incompréhensibles. Entre amphigouri, galimatias, baragouin ou verbigération, le dictionnaire offre un large choix. À moins que l’on ne préfère tout simplement charabia et verbiage. Voire daube ou pochade, lorsque l’objet du « délit » est un écrit…
Pour signifier que l’on ne prend pas au sérieux tel ou tel propos, au lieu de blague ou de fable, trop communs, on peut opter pour galéjade, issu du provençal galejado (« plaisanterie »), ou élucubration, qui vise initialement une œuvre farfelue laborieusement édifiée.
Avec logorrhée, utilisé pour dénoncer un flux de paroles inutiles, on met l’accent sur la surabondance. Carabistouille, que Bernard Pivot définit comme un « boniment servant à escroquer le peuple », sous-entend une tromperie.
Certains mots visent le comportement plus qu’un propos en particulier. C’est le cas de rodomontade, tiré de Rodomont, un personnage du poète italien de la Renaissance L’Arioste, l’équivalent de bravade ou de fanfaronnade.
Autre terme prisé des politiciens : palinodie. Il désignait au départ un poème dans lequel l’auteur rétractait ce qu’il avait dit dans un poème antérieur. Employé aujourd’hui au pluriel, il est synonyme de changement d’opinion. Formé à partir du grec palin (« de nouveau »), il est de la même famille que palimpseste et palindrome, deux mots qui suggèrent un recommencement. Avec le palimpseste, on efface un texte pour en écrire un autre sur le même support, tel un parchemin. C’est donc une superposition. Le palindrome est un mot ou un groupe de mots qui se lisent indifféremment de gauche à droite et de droite à gauche. Palinodies, en revanche, évoque des revirements et des volte-face.
Parfois, la saillie ne vise pas les paroles ou l’attitude d’un individu, mais l’individu lui-même. Traiter quelqu’un de faquin, par exemple, est du plus bel effet. En vogue au XVIIe siècle, ce mot désignait un être sot et méprisable. Et pour cause : le faquin était au départ un mannequin sur lequel les chevaliers s’exerçaient à la lance. Le mirliflore—altération de (eau de) mille fleurs est un jeune élégant content de lui, le muscadin—dérivé de musc—un dandy ridicule dans sa mise et ses manières.
Dans la même veine, on trouve aussi turlupin—du nom d’un personnage de farce du XVIIe siècle—, qui désigne plus spécialement un amateur de plaisanteries de mauvais goût. Pour rester dans l’antonomase, cette figure de style qui consiste à désigner un individu par la figure dont il rappelle le caractère typique (à l’instar de Tartuffe ou de Dom Juan), on ne saurait oublier savonarole (du nom d’un prédicateur italien du XVe siècle), synonyme de tribun fanatique.
Comme on le voit, les termes pour critiquer, railler, vitupérer un concurrent ou un adversaire sont nombreux, et certains révèlent des pans intéressants de la culture européenne. Même si, en vérité, les plus usités sont aussi les plus grossiers. Connerie, baratin et foutaise nous viennent plus facilement à la bouche que calembredaine et galimatias…