Communauté

L’entrepreneur français qui court pour les sans-abris de New York

Ancien patron pour l’Amérique du Nord du groupe de luxe Richemont, maison mère de Cartier et Van Cleef & Arpels, Alain Bernard mobilise depuis plusieurs années une communauté d’expatriés pour soutenir la Bowery Mission. Le 5 novembre prochain, ils seront au départ du marathon de New York.
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Alain Bernard. © Bryan Smith

Parmi les plus de 50 000 coureurs et coureuses qui prendront le départ du 52e marathon de New York, un petit groupe le fera pour une cause bien particulière. Ils soutiendront la Bowery Mission, l’une des plus anciennes organisations d’aide aux sans-abris de Manhattan. Leur défi caritatif et amical fait s’affronter deux équipes, française et australienne, autour de trois objectifs : réaliser la meilleure performance, mais aussi récolter le plus d’argent et attirer le plus de donateurs individuels.

A l’origine de cette initiative, on trouve un homme d’affaires français a priori très éloigné du monde des sans domicile fixe, Alain Bernard. Arrivé à New York il y a dix ans au poste de PDG de Van Cleef & Arpels pour le continent américain, il a ensuite dirigé pour l’Amérique du Nord le groupe de luxe Richemont. La maison suisse, numéro trois mondial du luxe derrière LVMH et Estée Lauder, compte à son portefeuille des noms aussi prestigieux que les joailliers Cartier et Van Cleef & Arpels, les horlogers Panerai, Jaeger-LeCoultre ou Piaget, et les marques de mode Chloé, Montblanc ou Alaïa. Alain Bernard en est parti au printemps 2021, explique-t-il, « après 23 ans dans le même groupe, un peu de lassitude et l’envie de faire autre chose ».

Attablé à la terrasse d’un restaurant italien dans le quartier du Flatiron Building, ce jeune quinquagénaire parle avec passion de son engagement pour la Bowery Mission, qui remonte au début de son aventure new-yorkaise, après trois ans à la tête de Van Cleef & Arpels au Japon. « Pour notre premier Noël américain, avec mon épouse Anne-Laure, nous avons voulu montrer à nos enfants une autre image de l’Amérique », se souvient-il. « J’ai cherché une association caritative locale, j’ai découvert la Bowery Mission et nous sommes allés servir des repas aux sans-abris. »

Fondée en 1879, cette mission tire son nom de la rue du Lower East Side où se trouve son siège historique. Association chrétienne présente dans tout Manhattan et jusque dans le Bronx, elle fournit repas, hébergement d’urgence et vêtements aux plus défavorisés, ainsi que divers programmes d’accompagnement et de réinsertion. « Ce sont des gens formidables », résume l’entrepreneur. « Ils s’occupent des personnes qui dorment en bas de chez toi pendant que tu es au chaud, avec un bon repas, quelques étages au-dessus. »

D’abord simple bénévole, Alain Bernard est vite devenu un soutien actif de l’organisation, à travers des levées de fonds auprès de ses amis et contacts professionnels, des partenariats avec Richemont Etats-Unis ou en courant sous ses couleurs : l’édition 2023 marquera son huitième marathon pour la cause. « Alain est toujours prêt pour organiser des événements et pour mobiliser la communauté des Français de New York et celle du luxe », indique Stephen Brooks, un Australien associé d’un fonds d’investissement new-yorkais. Lui aussi bénévole de longue date pour la Bowery Mission, il s’est mobilisé l’an dernier pour faire de la levée de fonds du marathon un défi franco-australien.

Les coureurs français de l’équipe de la Bowery Mission, en 2020. De gauche à droite : Agathe Louvet, Marie de Foucaud et Alain Bernard. © The Bowery Mission
En novembre 2020, le marathon de New York annulé en raison de la pandémie, Alain Bernard et ses coéquipiers ont organisé leur propre course et récolté 270 000 dollars pour la Bowery Mission. © The Bowery Mission
Alain Bernard prépare des repas avec d’autres bénévoles de la Bowery Mission. © The Bowery Mission
Alain Bernard avec James Winans, président et directeur de la Bowery Mission, lors du gala de l’association, en 2020. © Albert Cheung

La communauté française s’engage

Cette année, la « team France » réunira une actrice vivant entre Paris et Los Angeles, une ancienne directrice artistique du French Institute Alliance Française et plusieurs entrepreneurs et entrepreneuses, novices ou habitués de l’épreuve. « Quand on vit à New York, le marathon est mythique : il faut le faire au moins une fois dans sa vie », explique Marie de Foucaud, fondatrice et directrice de l’agence de conseil en stratégie Elovation Consulting, qui participera à la course pour la troisième fois. « Et quand on est Français et que l’on a la chance d’être ici, on se rend compte à quel point la notion de give back est importante. »

Après son départ de Richemont, Alain Bernard s’est lui aussi lancé dans le conseil, au sein de sa propre structure, Abbey Road Advisory, et en association avec Elovation. « Je savais ce que je ne voulais pas faire : retravailler dans une très grande entreprise », explique-t-il. « J’ai passé six mois à rencontrer toutes sortes d’entrepreneurs et investisseurs. De fil en aiguille, je me suis retrouvé dans des projets très différents. » Si le luxe constitue l’axe principal, ses clients peuvent être aussi bien de grandes marques de joaillerie que de jeunes entreprises innovantes, à l’image d’Aether Diamonds, qui fabrique des diamants de synthèse à partir de dioxyde de carbone capturé dans l’atmosphère, ou Le Gramme, fabricant français de bijoux masculins au style minimaliste.

« Une partie de notre travail est d’aider des entrepreneurs à monter des stratégies de marque et à s’implanter aux Etats-Unis », détaille Alain Bernard. En parallèle, Abbey Road et Elovation travaillent aussi sur ce que l’entrepreneur français appelle le « nouveau luxe », notamment dans l’espace, avec The Exploration Company, dont la première mission commerciale aura lieu l’an prochain. Lui et Marie de Foucaud pilotent aussi, à la demande du ministère de la Culture d’Arabie saoudite, un programme d’accompagnement pour 100 marques de mode saoudiennes, principalement créées par des femmes, qui culminera avec la première Fashion Week de Riyad, du 20 au 23 octobre.

Deux semaines plus tard, Alain, Marie et six autres Français prendront le départ du marathon de New York, avec le double objectif de faire mieux que leurs amis australiens et de battre, ensemble, leur record de dons. Ironie de l’histoire, la plus belle levée de fonds des Frenchies pour la Bowery Mission à ce jour a eu lieu en 2020 : l’année où le marathon a été annulé. « Avec le Covid, les besoins étaient énormes et nous avons décidé de courir quand même, à la date habituelle de la course », explique Alain Bernard. « Cela a pris la forme d’un semi-marathon que nous avons organisé tout seuls, avec 25 participants, car c’était le maximum accepté par la ville de New York. Le parcours allait du site historique de Bowery, où nous avons assuré le service des petits déjeuners, jusqu’à la ligne d’arrivée traditionnelle du marathon dans Central Park. »

L’événement attire des médias locaux, dont la chaîne NY1, poussant une téléspectatrice travaillant pour un fonds d’investissement à doubler la somme déjà recueillie. A l’arrivée, l’opération a rapporté 270 000 dollars à la Bowery Mission. Cette année, les 16 coureurs franco-australiens se fixent pour objectif d’en récolter au moins 300 000 !


Article publié dans le numéro d’octobre 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.