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Cinq figures françaises de la tech aux Etats-Unis

Alors que Las Vegas accueillait récemment le CES, la plus grande foire mondiale consacrée à la technologie, coup de projecteur sur cinq personnalités tricolores qui ont marqué – et marquent encore – la tech américaine.
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Yann LeCun : le chercheur

Si l’intelligence artificielle (IA) est tant à la mode aujourd’hui, c’est un peu grâce à lui. Professeur à New York University et vice-président chargé de la recherche en IA de Meta (le nouveau nom de Facebook), Yann LeCun est un des pionniers de l’apprentissage automatique, une branche de l’informatique qui donne aux machines la capacité d’apprendre à partir de données. Après un doctorat en France, il a débuté sa carrière aux Etats-Unis à la fin des années 1980, comme chercheur aux Bell Laboratories d’AT&T, dans le New Jersey. C’est là qu’il a connu son premier succès, avec un système de reconnaissance de l’écriture manuscrite utilisé pour la lecture des chèques. Mais son approche, basée sur des réseaux de neurones artificiels – des logiciels entraînés en analysant de grandes quantités de données – a mis près de deux décennies à s’imposer. Avec deux autres chercheurs, Geoffrey Hinton (Université de Toronto) et Yoshua Bengio (Université de Montréal), LeCun a révolutionné cette technique à partir de 2004, sous le nom de deep learning. La méthode a ensuite fait ses preuves dans la reconnaissance d’images et l’analyse de la parole, suscitant l’intérêt des géants d’Internet. Fin 2013, Facebook a proposé à Yann LeCun de diriger son laboratoire de recherche en IA, tout en continuant d’enseigner à NYU. La consécration est venue en mars 2019, quand le trio a reçu le prix Turing, équivalent du prix Nobel pour l’informatique.

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Fidji Simo : la manageuse

Quel parcours ! Née à Sète, dans le sud de la France, il y a 36 ans dans une famille de pêcheurs, Fidji Simo a été nommée en juillet dernier PDG d’une des start-up les plus en vues de la Silicon Valley : Instacart, leader de la livraison de courses à domicile, valorisé à près de 39 milliards de dollars. Avant cela, cette diplômée d’HEC avait passé dix ans chez Facebook, dont elle a gravi tous les échelons à marche forcée. Entrée au département marketing, elle a ensuite dirigé la publicité sur mobile, puis Facebook Live. La consécration est venue en 2019, avec sa nomination à la tête de l’application Facebook – à l’époque, Mark Zuckerberg l’avait saluée comme « un de nos responsables de produits et managers les plus talentueux ». Dans un univers très majoritairement masculin, Fidji Simo a su imposer son accent et sa féminité, assumant robes colorées, talons hauts et maquillage au lieu des jeans et hoodies qui composent l’uniforme de la Silicon Valley. Elle revendique aussi ses origines modestes : « J’ai été la première de ma famille à terminer le lycée et à faire des études supérieures », déclarait-elle au magazine Fortune en novembre dernier. Partie de Facebook au moment où le groupe était attaqué de toutes parts, Fidji Simo a la lourde tâche de diriger une autre entreprise controversée. Instacart, dont les 500 000 travailleurs indépendants font les courses et assurent les livraisons pour ses clients, est souvent décrit comme un « Uber de l’épicerie ».

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Jeff Clavier : le financier

La tech américaine n’existerait pas sans le capital-risque, indispensable pour financer les entreprises à forte croissance. Dans ce domaine, Jean-François « Jeff » Clavier est une des figures de la Silicon Valley, où il est arrivé « un peu par hasard » à l’été 2000, en pleine bulle Internet. Après avoir travaillé pour le fonds du groupe Reuters en Californie, Jeff Clavier s’est mis à son compte en 2004 en créant SoftTech VC, depuis rebaptisé Uncork Capital – un clin d’œil à son goût pour les bons vins. Sa spécialité ? L’amorçage, c’est-à-dire le soutien aux start-up dans les premiers mois de leur existence, avant qu’elles ne grandissent et attirent de plus gros investisseurs. « Au jour le jour », explique-t-il, « on trouve des entrepreneurs qui ont des idées super, on leur fait un chèque et on travaille très dur pour les aider à se développer ». Parmi les quelque 240 entre prises qu’il a financées (pour 1,5 million de dollars en moyenne), quelques succès connus du grand public, comme Fitbit (bracelets connectés), Eventbrite (billetterie en ligne) ou Postmates (livraison de repas), et beaucoup de start-up de type B2B (business to business). « J’ai la chance d’être l’un des investisseurs capital-risque qui a énormément d’attrait pour les entrepreneurs, parce que cela fait longtemps que je le fais. Après, c’est à nous de choisir des gens qui ont la bonne vision du futur. C’est le meilleur job du monde ! »

Luc Julia : l'inventeur

Le père de Siri, c’est (à moitié) lui : Luc Julia, ingénieur et informaticien, est à l’origine de l’assistant vocal de l’iPhone, lancé par Apple en 2011. A l’époque, ce Toulousain de naissance était déjà un pionnier des objets connectés et de l’intelligence artificielle. Il est arrivé dans la Silicon Valley au milieu des années 1990, après un doctorat en informatique à Paris et un passage par le MIT. Luc Julia a fait ses débuts chez SRI, un prestigieux institut de recherche proche de Stanford, où ses travaux ont donné naissance à Nuance, leader mondial de la reconnaissance de la parole, et à The Assistant, l’ancêtre de Siri, dont il a déposé les brevets dès 1997 avec son collègue de travail Adam Cheyer. En 2010, après avoir vendu Siri à Steve Jobs, c’est Cheyer qui a proposé à Luc Julia de le rejoindre. Connu autant pour son franc-parler que pour ses chemises hawaïennes, le Français n’a guère apprécié la culture d’entreprise d’Apple. Il en est parti au bout d’un an pour s’occuper de l’innovation chez Samsung. Auteur d’un livre au titre provocateur, L’intelligence artificielle n’existe pas (First Editions, 2019), Luc
Julia dénonce volontiers les « fantasmes et les fausses idées dont on nous abreuve aujourd’hui » sur l’IA. En avril 2021, pour la première fois de sa carrière, il a été embauché par un groupe français, Renault, au poste de directeur scientifique.

Bertrand Diard : l'entrepreneur

C’est l’un des rares Français à avoir mené une start-up tricolore jusqu’à Wall Street. Le 29 juillet 2016, Talend, l’entreprise dirigée par Bertrand Diard faisait son entrée au Nasdaq, l’indice des valeurs technologiques de la bourse de New York. L’aboutissement d’une aventure de dix ans, menée pour l’essentiel en Californie. Car si Talend, spécialiste des logiciels pour le big data, est née fin 2005 en banlieue parisienne, ses dirigeants ont très vite mis le cap sur l’Amérique. « Dès le départ, notre vision était très globale », explique-t-il, « et dans notre secteur, l’épicentre de l’activité se trouvait dans la Silicon Valley ». Bertrand Diard y arrive fin 2006 pour ouvrir la filiale américaine de Talend, qui devient ensuite son siège social. « C’était un choix à la fois insouciant et pragmatique. Si nous avions fait de la biotech, je serais allé à Boston, mais pour le logiciel, la Californie s’imposait. » Cette présence aux Etats-Unis permet aussi de préparer l’entrée au Nasdaq, sur les traces de deux autres pépites françaises du logiciel, BusinessObjects et Criteo. Bertrand Diard a quitté le conseil d’administration de Talend quelques mois après l’introduction en bourse. Il s’est ensuite installé à Bruxelles, où il est devenu investisseur, avec un fonds spécialisé dans les start-up de la data. Ce qui lui permet de garder un lien fort avec la Silicon Valley : « Quasiment toutes les entreprises dans lesquelles j’investis vont se déployer aux Etats-Unis ! »


Article publié dans le numéro de janvier 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.