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Cinq entrepreneurs français au chevet de la planète

L’innovation made in France peut aider la biodiversité, limiter le réchauffement climatique ou lutter contre le gaspillage alimentaire. Exemples avec cinq portraits d’entrepreneurs français qui ont choisi de développer leur start-up aux Etats-Unis.
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Lucie Basch. © Too Good To Go

GARDYN

Les potagers intérieurs de François-Xavier Rouxel

Des salades, des poivrons, des haricots, du céleri, des herbes aromatiques et même des fraises, en toute saison, d’une fraîcheur absolue… et sans sortir de chez soi ! Depuis 2020, Gardyn propose un kit d’agriculture intérieure permettant de faire pousser jusqu’à 30 plantes comestibles simultanément « dans un appartement ou dans le sous-sol d’une maison, et même si l’on n’a absolument pas la main verte », explique François-Xavier « FX » Rouxel, fondateur et PDG de l’entreprise installée dans le Maryland. Ce polytechnicien et ingénieur, arrivé aux Etats-Unis pour le groupe de services informatiques français Capgemini, a eu l’idée d’utiliser la technologie pour « proposer aux gens des fruits et légumes frais et de grande qualité, comme ceux que je trouvais sur les marchés du sud de la France. Et ce, sans transport ni pesticides ! »

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© Gardyn
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© Gardyn

Conçu en partenariat avec des chercheurs de l’université McGill à Montréal, Gardyn est un système d’agriculture hydroponique tout-en-un qui comprend l’irrigation, l’éclairage par des barres de LED, le pilotage du système et même les plantes, livrées sous forme de capsules prêtes à l’emploi contenant les graines et le substrat nécessaire à leur croissance. Une caméra et un logiciel d’intelligence artificielle surveillent en permanence ce potager vertical et fournissent des conseils d’entretien et de récolte via une application, moyennant un abonnement. « A l’arrivée, Gardyn revient à moins de 50 dollars par mois tout compris », explique François-Xavier Rouxel. « Nous proposons une soixantaine de plantes différentes, y compris des variétés délicieuses mais difficiles à trouver en supermarché. »

UBEES

Arnaud Lacourt veille sur les abeilles

Indispensable à la reproduction de la majorité des plantes, et donc à la survie des humains, les abeilles sont en danger. L’artificialisation des terres, l’essor de la monoculture et de l’agriculture intensive font chuter les populations d’insectes pollinisateurs. C’est particulièrement le cas aux Etats-Unis, où les ruches voyagent désormais par camion, au fil des saisons, seul moyen de garantir les prochaines récoltes. Après une carrière dans la tech, Arnaud Lacourt s’est pris de passion pour l’apiculture et a choisi d’attaquer le problème directement de l’intérieur des ruches. Ubees, qu’il a cofondé en 2017, a développé des capteurs connectés mesurant la température de la ruche et l’activité des butineuses. Les données sont accessibles en temps réel, avec un simple smartphone. « Cela permet de savoir combien d’abeilles sont présentes et combien sont prêtes à butiner les fleurs », explique-t-il. « Ce qui aide à placer les ruches de façon optimale et réduit la mortalité. »

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© Ubees
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© Ubees

Née en France dans l’apiculture urbaine, la start-up s’est vite développée aux Etats-Unis, premier marché au monde pour les services de pollinisation, estimé à un milliard de dollars par an. Ubees y exploite 10 000 ruches sur cinq sites et compte une cinquantaine de clients à travers le pays. En parallèle, l’entreprise aide de petites exploitations agricoles à se remettre à l’apiculture pour avoir des revenus complémentaires, des plantations de café en Colombie ou d’avocats au Mexique par exemple, avec l’appui de multinationales comme Nespresso. « Notre objectif est de réinstaller des ruches partout où c’est possible, dans une démarche d’agriculture régénérative. »

TOO GOOD TO GO

Lucie Basch en lutte contre le gaspillage alimentaire

Mettre en relation, via une application mobile, les commerces alimentaires (boulangers, restaurants, supermarchés…) et les consommateurs du voisinage pour éviter que les invendus du jour ne finissent à la poubelle : c’est le principe de Too Good To Go, entreprise cofondée en 2016 par Lucie Basch. Diplômée de l’école d’ingénieurs Centrale Lille, elle a commencé sa carrière dans les usines de Nestlé, en Grande-Bretagne, où elle a pris conscience de l’ampleur du gaspillage alimentaire. Mais c’est lors d’un séjour en Norvège qu’elle a trouvé la solution, en associant technologie numérique et économie collaborative : le client réserve sur son smartphone un « panier surprise » de produits vendus au tiers de leur prix, qu’il récupère à la fermeture du magasin ; le commerçant est rémunéré pour des aliments qu’il aurait jetés ; et la start-up prélève une commission sur la transaction.

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© Too Good To Go

Too Good To Go est aujourd’hui présent dans quinze pays européens, mais aussi au Canada et aux Etats-Unis, où la fondatrice s’est relocalisée en 2020 pour démarrer et développer l’activité. « L’objectif était de prouver que le concept fonctionnait, d’abord à New York, puis à Boston », explique Lucie Basch. « En 2021, nous avons lancé la côté ouest puis les villes de Chicago et Austin. Cela nous a permis d’avoir un réel ancrage local et nous en avons profité pour lancer le Canada dans la foulée. » En ajoutant Miami et Los Angeles, ouverts depuis quelques mois, Too Good To Go compte en Amérique du Nord 17 000 commerçants partenaires, 4,6 millions d’utilisateurs et plus de six millions de repas « sauvés de la poubelle » – sur un total de 200 millions de paniers écoulés à travers le monde en sept ans. Revenue en Europe l’an dernier, la fondatrice garde un excellent souvenir de son séjour américain. « Lancer son entreprise outre-Atlantique est une chance inouïe, mais c’est aussi un défi au quotidien : le marché est bien plus compétitif, même sans concurrence directe, les coûts marketing sont plus élevés, la façon de travailler est différente… Il faut donc bien se préparer avant de partir ! »

WAGA ENERGY

Guénaël Prince exploite le gaz des décharges

Et si une pollution devenait une source d’énergie renouvelable ? Fondée près de Grenoble en 2015 par trois ingénieurs issus du groupe français Air Liquide, Waga Energy s’est spécialisée dans le traitement du gaz dégagé par les sites d’enfouissement de déchets. Au lieu de le brûler ou de le laisser s’échapper dans l’atmosphère, où il contribue au réchauffement climatique, ce « gaz de décharge » peut être récupéré, filtré et transformé en biométhane pour le chauffage ou le transport, à la place de combustibles fossiles. L’ensemble des opérations s’effectue dans une unité compacte, de la taille d’un terrain de basket, appelée Wagabox. Une quinzaine sont déjà en exploitation en France et l’entreprise inaugurera à la fin de l’été sa première installation américaine près de Corning, dans l’Etat de New York.

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© Waga Energy
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© Waga Energy

« Avec 2 700 sites d’enfouissement, les Etats-Unis représentent un gisement considérable de gaz renouvelable, et nous avons très vite décidé d’être présent sur ce marché », explique Guénaël Prince, cofondateur et PDG de Waga Energy USA. Il s’est installé avec sa famille près de Philadelphie en 2019 pour lancer la filiale américaine, après avoir dirigé la recherche et le développement de la jeune société. Aux Etats-Unis, Waga Energy vend également une partie de sa technologie, les modules de distillation cryogéniques, à Air Liquide. « Les Américains exploitaient déjà le gaz de quelques grands sites d’enfouissement, mais notre technologie permet de le faire sur des sites de taille moyenne ou petite », explique Guénaël Prince. « Nous nous différencions aussi par le modèle d’affaires, en investissant et développant le projet de A à Z pour reverser ensuite des revenus à l’exploitant du site. Ce biométhane est le moins cher que l’on puisse obtenir aujourd’hui et c’est un des piliers de la transition énergétique. »

OCEANIX

Les villes flottantes de Marc Collins Chen

C’est une des multiples menaces liées au réchauffement climatique : la montée du niveau des océans présente un danger pour 90 % des grandes métropoles situées en zone côtière, comme Miami, La Nouvelle-Orléans, Lagos ou Calcutta. « Bâtir des murs contre les vagues ou gagner sur la mer avec des remblais ne sert à rien sur le long terme, et cela détruit les écosystèmes », explique Marc Collins Chen, le fondateur d’Oceanix. Cet ingénieur et entrepreneur franco-américain né à Hawaï, qui fut ministre du Tourisme de Polynésie en 2007-2008, a imaginé une réponse digne de Jules Verne : des structures flottantes d’une superficie de deux hectares, spécifiquement conçues pour résister aux ouragans. Autosuffisants, ces villages aquatiques seront alimentés par des énergies renouvelables, produiront leur propre eau potable et associeront des bâtiments d’habitation, des fermes urbaines et des élevages d’aquaculture.

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© Oceanix USA
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© Oceanix USA

« Contrairement aux projets d’îles artificielles des libertariens, qui rêvent de villes pour milliardaires situées dans les eaux internationales pour échapper aux impôts, notre objectif est de proposer un habitat accessible à tous, en association avec les collectivités locales. » Fondée en 2018 à New York, l’entreprise a bénéficié du soutien d’ONU-Habitat, le programme des Nations unies pour une urbanisation durable. Le Center for Ocean Engineering du MIT et le cabinet de l’architecte danois Bjarke Ingels se sont associés au projet, dont le premier prototype verra le jour à Busan, en Corée du Sud. Le quartier, qui doit être achevé à l’horizon 2030, pourra héberger 12 000 personnes sur plusieurs modules totalisant 6,2 hectares. Après avoir porté le projet, Marc Collins Chen a cédé il y a un an le poste de PDG d’Oceanix à Philipp Hofmann, venu du bâtiment. « Je reste membre du conseil d’administration », explique le fondateur, « et je continue de représenter Oceanix auprès des villes et des investisseurs ».


Article publié dans le numéro d’avril 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.