Depuis les années 1980, les brasseurs américains redécouvrent et s’approprient de vieilles recettes de bières françaises tombées dans l’oubli. Certains de ces brasseurs américains se sont installés en France, où ils participent aujourd’hui à la « révolution de la bière artisanale ». Signe de cette influence, la première édition du Mondial de la Bière — un festival lancé à Montréal en 1994 — aura lieu à Paris pour la première fois cette année.
La bière artisanale est de plus en plus populaire aux Etats-Unis. Les micro-brasseurs américains ont découvert le genre lorsque la maison belge Dupont a commencé à exporter sa production en Amérique du Nord dans les années 1980. « Vous pouviez alors compter sur une main le nombre de bières françaises ou belges distribuées aux Etats-Unis », se souvient Charlie Papazian, le fondateur de l’association des brasseurs américains. « Les bières brassées aux Etats-Unis étaient blondes, légères et avaient ce même goût neutre de New York à San Francisco ! »
Les brasseurs amateurs américains ont commencé à s’approprier de vieilles recettes artisanales françaises et belges, ouvrant leur propre brasserie et distribuant leur production localement. Le nombre de brasseries indépendantes aux Etats-Unis est passé de 89 en 1978 à 5 301 en 2016. Près de huit cent nouvelles micro-brasseries ont vu le jour aux Etats-Unis l’année dernière ! La tendance s’est exportée en France, où le Syndicat National des Brasseurs Indépendants recense plus de mille brasseries indépendantes. Moins de 150 existaient il y a dix ans.
En s’installant en France, les brasseurs américains ont importé avec eux la « craft beer revolution ». Anthony Baraff, originaire de Philadelphie, est associé au Breton Fabrice Le Goff. Le duo brasse en région parisienne depuis 2011 et a récemment ouvert sa propre brasserie à Saint-Denis, au nord de Paris. Ancien maître brasseur de la chaîne de pubs parisiens Frogs formé dans le Colorado, Mike Gilmore a ouvert dans le deuxième arrondissement la première salle de brassage artisanal de la capitale, Brew Unique. Comptez 170 euros pour brasser dix-huit litres de votre propre bière. Native de Boston, Shari Zigelbaum-Cau a ouvert le Bordeaux Beer Shop il y a trois ans et propose entre 250 et 300 références — dont une grande majorité de bières artisanales françaises.
Né à Philadelphie, Mike Donohue vit depuis trois ans à Paris, où il dirige la brasserie Deck & Donohue avec son ancien camarade d’université, le Strasbourgeois Thomas Deck. « Historiquement, le houblon, l’orge et le malt qui entrent dans la composition de la bière étaient cultivés en Europe », explique Mike Donohue. « Ouvrir une brasserie artisanale en France représente la suite logique pour beaucoup de brasseurs américains. » Le duo franco-américain s’est installé à Montreuil, au nord-est de Paris, en 2014 — l’année de la première Beer Week parisienne consacrée à la bière artisanale.
Devant le succès, la brasserie Deck & Donohue s’est agrandie en septembre dernier. Un second site, installé au sud-est de Paris, permettra aux deux brasseurs d’accroître leur production annuelle de 700 à 2 000, puis 3 000 hectolitres d’ici l’année prochaine. Thomas Deck et Mike Donohue assurent eux-mêmes les livraisons. Trois à quatre fois par semaine, ils chargent leurs camionnettes Renault et sillonnent la région parisienne. De Vincennes à Saint-Ouen en passant par Ménilmontant, les Halles et le Trocadéro, près de cent-cinquante troquets, restaurants et épiceries distribuent les bières Deck & Donohue.
La Mission Pale Ale, d’inspiration américaine, est leur produit phare. Cette bière blonde et légère mêlant des arômes de mangue, d’orange et d’ananas commémore la première bière que les deux amis ont brassée ensemble — en 2005, dans la cuisine d’un appartement de San Francisco. « Nous brassons des bières françaises d’inspiration américaine, mais nous n’avons aucune envie d’exporter nos bières aux Etats-Unis », lance Mike Donohue. « Nos racines sont en France ! »