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La success-story des Français en NBA

En juin dernier, quatre joueurs français étaient sélectionnés lors du draft de la NBA, dont deux dans le top 10 : Victor Wembanyama et Bilal Coulibaly. La clé de ce succès français aux Etats-Unis ? L’éducation, au sens premier, et une culture partagée du basket plus que centenaire.
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Les joueurs français Victor Wembanyama (à gauche) et Bilal Coulibaly, le jour de leur sélection en NBA, le 22 juin 2023. © Brian Babineau/NBAE/Getty Images

Le déjeuner s’est déroulé au Rockefeller Center, à Manhattan, mais on aurait pu se croire dans une brasserie parisienne. Etaient répartis entre plusieurs tables Victor Wembanyama, originaire du Chesnay, près de Versailles, et son entourage, le « groupe Wemby », à savoir sa famille, son agent, son entraîneur et le président de Nanterre 92, son ancien club ; Bilal Coulibaly, natif de Saint-Cloud, à l’ouest de Paris, et sa famille ; et enfin Rayan Rupert, de Strasbourg, et sa mère, Elham, qui complétaient la liste des invités français.

Si tous pâtissaient du décalage horaire (ils venaient d’arriver par le même avion au départ de Paris), l’excitation restait palpable. Dans quelques heures, les trois vedettes du basket français – auxquelles se joindrait plus tard Sidy Cissoko, de Saint-Maurice, dans le Val-de-Marne – monteraient sur la scène du Barclays Center à Brooklyn pour la cérémonie de la sélection 2023 de la ligue américaine. « L’ambiance était fantastique », témoigne Frédéric Donnadieu, président de Nanterre 92, où Victor Wembanyama a fait ses débuts. Et de préciser, se remémorant cette après-midi à Manhattan que la NBA réserve chaque année aux joueurs les plus prometteurs du draft : « Chacun d’entre eux gérait bien la pression de l’évènement. »

Ils avaient de quoi être confiants. Cette nuit-là, les noms français ont résonné au Barclays Center. Victor Wembanyama, dont la taille, l’envergure et le talent brut ont fait un phénomène international, a été sélectionné en premier par les Spurs de San Antonio. Bilal Coulibaly, son ex-coéquipier et ami proche, a été choisi quelques minutes plus tard, en septième position, avant d’être transféré aux Wizards de Washington. Rayan Rupert et Sidy Cissoko ont été appelés au second tour, respectivement par les Trail Blazers de Portland et les Spurs.

Soir de match au Barclays Center, à Brooklyn. © Bruce Damonte

Si la première place de Victor Wembanyama était inédite pour un Français, la présence de basketteurs tricolores à New York chaque année en juin est devenue habituelle. Selon l’Associated Press, c’était la troisième fois – et la deuxième consécutive – que quatre joueurs de l’Hexagone étaient recrutés. De manière générale, les Français sont sélectionnés en plus grand nombre que les basketteurs de tout autre pays hors Amérique du Nord. Frédéric Donnadieu explique cette tendance par une culture du basket en pleine croissance en France et par un style de jeu physique et rapide, similaire à celui de la NBA. « Le basket [aux Etats-Unis], c’est comme le foot en France », analyse-t-il. « Il est donc normal que [la NBA] soit une inspiration » pour les jeunes Français. « Quant à nos joueurs, très athlétiques et doués d’un fort esprit d’équipe, ils ont des profils intéressants pour la NBA. »

Comme Frédéric Donnadieu, Lindsay Sarah Krasnoff, qui vient de publier Basketball Empire: France and the Making of a Global NBA and WNBA, pense que ce succès mondial ne doit rien à la chance. La France est souvent qualifiée de « 51e Etat du basket », explique-t-elle. La priorité donnée au développement des jeunes, l’éducation, avec une formation complète, et la base démographique cosmopolite issue de l’immigration – notamment d’Afrique, d’Europe de l’Est et des Balkans – sont autant d’éléments qui font du pays un puissant vivier, propice à l’émergence de talents. « Si vous regardez les joueurs français exportés vers la NBA, la ligue féminine ou la ligue universitaire », explique Lindsay Sarah Krasnoff, « ils tendent tous à être un peu plus multidimensionnels ».

L’accent mis sur le développement des joueurs remonte à plus d’un siècle, précise Lindsay Sarah Krasnoff. C’est l’une de ces histoires franco-américaines typiques : en 1893, Melvin Rideout, disciple de James Naismith, fondateur du basket, est envoyé à Paris pour inaugurer le premier terrain en dehors des Etats-Unis et internationaliser ce sport naissant. Située dans les bâtiments de la YMCA au 14 rue de Trévise, dans le 9e arrondissement, cette salle au parquet à bâtons rompus existe toujours. Elle est d’ailleurs en cours de rénovation pour les Jeux olympiques de Paris 2024.

A Paris, la YMCA du 14 rue de Trévise abrite le plus ancien terrain de basket au monde, inauguré en 1893. © Musée du basket
Jean-Claude Lefebvre, ancien joueur de l’université Gonzaga, dans l’Etat de Washington, sera le premier Français à être sélectionné en NBA, en 1960. © Musée du basket

Les pionniers français de la NBA

Il a fallu attendre 1960 pour qu’un pro français fasse le voyage en sens inverse, de l’autre côté de l’Atlantique. Cette année-là, Jean-Claude Lefebvre est retenu au neuvième tour par les Lakers de Minneapolis (vendus plus tard à Los Angeles), devenant le premier basketteur français, et même européen, à être recruté par une équipe de NBA. Une blessure au genou l’empêchera de jouer le moindre match et mettra un point final à sa carrière. Mais d’autres pionniers suivirent. En 1997, Tariq Abdul-Wahad, originaire de Maisons-Alfort, au sud-est de Paris, est sélectionné à la onzième place. En huit ans, il jouera pour quatre équipes, marquant en moyenne près de 8 points par match. Surtout, sa carrière américaine ouvrira la voie à d’autres stars françaises, dont Tony Parker (sélectionné en 2001) et Boris Diaw (en 2003), qui remporteront ensemble la finale du championnat avec les Spurs de San Antonio en 2014.

Vingt-cinq ans après les premières foulées de Tariq Abdul-Wahad sur un terrain outre-Atlantique et cent ans après le voyage historique de Melvin Rideout à Paris, les basketteurs français font désormais partie du paysage américain. Victor Wembanyama et Bilal Coulibaly, étoiles montantes de la NBA moderne, sont la preuve vivante du succès de la stratégie de développement française. Les deux joueurs, de 19 et 18 ans, ont fait équipe chez les Metropolitans 92, club français de division Betclic Elite (ex-Pro A), mais le duo se connaît depuis nettement plus longtemps. Au point d’avoir noué, au fil des années en division espoirs, des liens étroits. « Wemby est plus qu’un coéquipier », a confié Bilal Coulibaly à la presse après sa sélection en juin. « [Il est] comme un frère. »

Victor Wembanyama au Nanterre 92, le club à l’ouest de Paris où il est devenu le prodige du basket que l’on connaît aujourd’hui. © Arnaud Dumontier/Le Parisien

Pour Victor Wembanyama, son club de jeunesse – Nanterre 92 – a joué un rôle déterminant dans son essor, indique Frédéric Donnadieu. Au moment du draft, Victor Wembanyama a insisté pour que l’annonce de son nom précise qu’il vient « de Nanterre », où il a joué de l’âge de 10 à 17 ans, et non pas Levallois-Perret, fief des Metropolitans 92, où il a passé une unique saison. Ville de la banlieue ouest – marquée dernièrement par plusieurs semaines d’émeutes après l’homicide, par un policier, d’un adolescent franco-algérien de 17 ans –, Nanterre est devenue en quelque sorte un bastion du basket.

En un peu plus de dix ans, Nanterre 92 est passé du niveau départemental, avec une gestion familiale, au championnat pro, envoyant plusieurs joueurs en NBA, et même aujourd’hui un numéro 1. Le club compte également une équipe espoirs, une section handisport et une équipe féminine de compétition. (Si, dans l’ensemble, les Françaises sont moins nombreuses à jouer en WNBA, leur représentation est proportionnellement importante.) « [La ville] est devenue une marque », explique Camille Ducrocq, journaliste parisienne de 27 ans et fan de longue date de Nanterre 92. « Penser à Nanterre, c’est penser au basket. »

Victor Wembanyama, talent exceptionnel made in Nanterre de toute une génération, peut déjà s’enorgueillir d’une réputation à la mesure de son long patronyme (et de sa stature). Quand France-Amérique s’est rendu au NBA Store de Saint-Germain-des-Prés, les maillots floqués à son nom étaient en rupture de stock depuis déjà plusieurs semaines. Nous étions un jeudi de juillet et Paul était venu de la banlieue sud avec son père et sa sœur faire du lèche-vitrine. Si son équipe favorite reste les Golden State Warriors et son joueur préféré, Stephen Curry, l’adolescent de 15 ans, meneur de son équipe locale, a bel et bien rejoint les rangs des admirateurs de Victor Wembanyama. « Il peut donner un nouveau souffle au basket français », explique-t-il. « J’espère qu’il saura se montrer à la hauteur de la hype. »


Article publié dans le numéro d’octobre 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.