Philanthropie

L’élan franco-américain pour sauver la YMCA de Paris

Une campagne de financement est en cours pour restaurer l’immeuble au numéro 14 de la rue de Trévise, le siège historique de la YMCA de Paris. Un site méconnu, pensé il y a près de 130 ans par un architecte français et un philanthrope américain.
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Le salon André, au premier étage de la YMCA de Paris, et ses vitraux historiques. © YMCA Paris

Depuis la rue, une courte voie à sens unique du 9e arrondissement, rien ne laisse supposer que le foyer de l’Union chrétienne des jeunes gens (UCJG) de Paris renferme un trésor. Il faut se rendre au sous-sol pour découvrir le parquet de chêne à batons rompus du terrain de basket, le plus ancien au monde. Le premier match en Europe s’y est déroulé le 27 décembre 1893, deux ans après l’invention du jeu – « une espèce de football en chambre », selon le Journal des débats politiques et littéraires – dans une université du Massachusetts.

Terrain de basket et piste d’athlétisme en mezzanine, mais aussi piscine, cabines de douche et appareils d’hydrothérapie, piste de bowling, bibliothèque, théâtre, salle de musique, dortoirs… Le bâtiment impressionne alors par sa modernité. Il incarne la mission hygiéniste de la Young Men’s Christian Association (YMCA), fondée à Londres en 1844 avant de gagner l’Amérique du Nord puis la France : fortifier le corps, l’intellect et l’esprit. A la fin du XIXe siècle, le foyer de la rue de Trévise héberge des jeunes hommes arrivés de province. Et dans la piscine couverte, l’une des premières de la capitale, on apprend à nager.

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Le terrain de basket de la YMCA de Paris, inauguré en 1893. © YMCA Paris

D’origine protestante, l’UCJG est aujourd’hui laïque, comme la YMCA. Une cinquantaine d’étudiants et jeunes travailleurs y louent des chambres et peuvent assister à des cours de théâtre, d’escrime ou de yoga, de hip hop ou de krav maga. Mais le bâtiment, inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, accuse son âge. « En dehors du ravalement de la façade et de l’entretien de la toiture, aucun travaux d’envergure n’ont été réalisés depuis 1893 », témoigne Aska Monty, responsable de la collecte de fonds. « Nous aimerions retrouver l’élan de notre première campagne de financement, propulsée par l’amitié franco-américaine. »

Le modèle américain

En 1892, l’UCJG de Paris fête son quarantième anniversaire. L’occasion de moderniser l’association et de la doter de l’écrin qu’elle mérite. Une société anonyme est créée, placée sous la tutelle d’Alfred André, régent de la Banque de France et ancien député de la Seine, et du banquier américain James Stokes, membre de la YMCA de New York et fervent protestant lui aussi. En souvenir de son père, ami du marquis de La Fayette, celui-ci financera près de la moitié du projet, chiffré à un million de francs. Cornelius Vanderbilt II mettra aussi la main à la poche.

La conception du bâtiment est confiée à Emile Bénard, qui participera plus tard à un concours pour dessiner les plans d’une cité universitaire sur le campus de Berkeley. A l’invitation de James Stokes, l’architecte français se rend aux Etats-Unis pour observer les YMCA qui fleurissent alors dans toutes les villes du pays. Il importe en France le concept du bâtiment multi-usages et s’inspire, pour créer le gymnase, de celui de Springfield College, le berceau du basket. Les équipements sportifs de la rue de Trévise – et son premier directeur athlétique, Melvin Rideout – arriveront par bateau des Etats-Unis.

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Le gymnase de la YMCA de Paris, en 1893. © YMCA Paris

Le bâtiment de quatre étages est inauguré le 7 mai 1893. Le médecin Charles Monod et le baron Pierre de Coubertin, apôtre du sport à l’école et futur fondateur du Comité international olympique, assistent à la cérémonie. Le journal protestant Le Signal salue un « bel immeuble » aménagé « avec un soin et avec une intelligence dignes d’éloges ». Quant à la correspondante à Paris du Brooklyn Daily Eagle, Emma Bullet, elle décrit « un palais de cristal, de fer et de verre, parfaitement construit pour le confort et l’hygiène ».

Restaurer et moderniser

« A la lecture des rapports annuels, on ressent le poids des grandes familles françaises et américaines dans l’histoire de l’UCJG », témoigne Aska Monty, qui compte sur un même élan transatlantique pour récolter 200 000 euros auprès du grand public (via la Fondation du patrimoine) et cinq millions auprès de mécènes et fondations. Une somme qui permettra de « rénover la maison du sol au plafond », de la mettre aux normes de sécurité incendie et de la rendre « plus accessible » avec l’installation d’un ascenseur. Parmi les premiers bienfaiteurs : Nike. L’entreprise américaine a lancé en 2018 deux modèles de sneakers inspirés des teintes ocres et des matériaux du vénérable terrain de basket. Une édition limitée de 400 paires dont les ventes ont été reversées au foyer parisien.

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La collection couture printemps 2012 de Givenchy, photographiée dans le gymnase de la YMCA de Paris. © Givenchy
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En 2018, Nike a créé deux paires de sneakers inspirées des teintes et des matériaux du terrain de basket de la YMCA de Paris. © Kevin Couliau/Asphalt Chronicles

La maison ouvrira ses portes à l’occasion des Journées européennes du patrimoine, les 18 et 19 septembre (sur réservation), et prête régulièrement son gymnase pour des évènements spéciaux. Givenchy y a photographié sa campagne couture au printemps 2012. Plus récemment, le rappeur cristolien Eddy de Pretto a investi les lieux pour le clip de son tube « Normal » et les élèves créateurs de la Parsons School of Design y ont présenté leur exposition de fin d’année. Sans oublier les basketteurs français Rudy Gobert et Boris Diaw, ainsi que l’Américain Stephen Curry, venus fouler le parquet historique du gymnase.

« Le 14Trévise [comme est surnommé le bâtiment] sera inauguré une seconde fois en 2024 », annonce d’ores et déjà Aska Monty. « La tenue des Jeux olympiques à Paris nous permettra d’organiser des évènements sur le thème du sport et sera un tremplin à la renaissance du lieu. »