Art

Giuseppe De Nittis, l’impressionniste oublié

Le peintre italien s’est fait une réputation et a fait fortune à Paris à la fin du XIXe siècle, mais son nom a vite été effacé de l’histoire du mouvement impressionniste, majoritairement français. Une exposition inédite organisée par la Phillips Collection à Washington tente de corriger cette injustice.
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Giuseppe De Nittis, Petit déjeuner dans le jardin, 1884. © Pinacoteca Giuseppe De Nittis, Barletta

Barletta, sur la côte Adriatique, est une ville typiquement italienne, avec ses ferries qui vont et viennent vers les Balkans voisins, sa cathédrale gothico-romane sur la grand-place, son héritage archéologique témoignant des occupations successives des Romains, des Carthaginois et des Normands, mais aussi son musée d’exception, la Pinacoteca Giuseppe De Nittis, où plus de 120 tableaux documentent visuellement l’histoire d’amour d’un jeune peintre, non pas avec son Italie natale, mais avec la France.

Au XIXe siècle, Paris était la destination de tous les artistes, Italiens compris. Le Salon de Paris, d’envergure internationale, assurait une reconnaissance artistique et commerciale aux artistes aussi bien français qu’étrangers. Et cela a été le cas pour Giuseppe De Nittis qui, encore dans sa vingtaine, avait élu domicile dans la capitale française. Il a été le seul artiste italien à exposer à la première exposition des peintres impressionnistes de 1874. Quatre ans plus tard, il reçut la médaille d’or à l’Exposition universelle et la Légion d’honneur.

S’il s’est révélé toutefois compliqué de faire de De Nittis l’objet d’une étude critique, alors que lui-même se voyait selon ses propres termes comme « le plus français des Français », c’est que son affection pour son pays d’adoption aura finalement été un amour non réciproque.

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Giuseppe De Nittis, Le retour des courses, 1875. © Philadelphia Museum of Art

A sa mort en 1884, à l’âge de 38 ans, sa nécrologie dans Le Figaro soulignait sa popularité, son statut élevé parmi les impressionnistes, son italianité et son originalité. Mais cette adulation posthume aura été de courte durée. Son décès, et le fait qu’il était italien et non français, lui causèrent d’être effacé de l’histoire de l’impressionnisme par son pays d’adoption. La politique internationale a dû jouer un rôle en la matière, l’art français s’étant longtemps repu de l’impact mondial des impressionnistes, tandis que l’Italie devait bientôt être ostracisée en sa qualité de nation fasciste.

Réévaluer l’artiste

Aujourd’hui, outre-Atlantique, on tente de corriger cette omission historique par l’exposition An Italian Impressionist in Paris: Giuseppe De Nittis organisée à la prestigieuse Phillips Collection de Washington. Basée sur de nouvelles recherches et une nouvelle approche, cette rétrospective réévalue la courte vie créative de l’artiste, le situant au sein même, ou en tout cas très près, du groupe impressionniste, en particulier celui formé par Edouard Manet, Edgar Degas et Gustave Caillebotte.

« Que De Nittis ait été impressionniste ou non, le terme n’était pas important pour lui », écrit Renato Miracco, principal commissaire de l’exposition, aussi expert des artistes italiens de l’ère moderne et ancien attaché culturel à l’ambassade d’Italie aux Etats-Unis. « Mais si par ‘impressionnisme’, on entend un courant essentiellement français façonné par de multiples influences internationales, alors son art en portait la trace. »

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Giuseppe De Nittis, Un champ de blé, 1873.
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Giuseppe De Nittis, La Place du Carrousel: ruines des Tuileries, 1882. © Musée du Louvre, Paris

Plus loin, abordant la relation de De Nittis avec ses plus proches collègues impressionnistes français, Renato Miracco observe que l’artiste italien « n’achevait jamais une œuvre sans se demander ce que Degas en dirait », ce qui aux yeux de certains témoigne de bien plus que d’une trace. Incluses dans cette exposition inédite, plusieurs œuvres de ses amis semblent confirmer cette proximité artistique.

L’affection d’un artiste pour Paris

La première visite de De Nittis à Paris, en 1867, a été une épiphanie. Il était impatient d’y revenir l’année suivante pour devenir résident permanent de la Ville Lumière. Très vite, ce jeune Italien qui peignait avec talent les paysages méditerranéens de son Italie du Sud a documenté la transition urbaine d’une métropole européenne majeure.

Il l’a fait avec le concours de ses amis. Manet et Degas l’ont amené aux courses à Auteuil et l’amour des Français pour les courses de chevaux est devenu chez lui un thème récurrent. Son élégant Retour des courses (1875) fait partie de l’exposition, tout comme des scènes hippiques signées Manet et Degas. Son affection pour Paris transparaît dans les images de la transformation urbaine que menait le baron Haussmann dans la capitale française. En 1883, le gouvernement français avait fait l’acquisition de La Place du Carrousel : ruines des Tuileries, tableau qui appartient aujourd’hui au Louvre et figure également dans l’exposition de Washington.

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Giuseppe De Nittis, Léontine en chaloupe, 1874.

Ses foules tirées à quatre épingles se promenant au jardin du Luxembourg ou déambulant sur les boulevards – les hommes en haut-de-forme, les femmes en robes à volants, ombrelle à la main – sont son hommage à une bourgeoisie parisienne en plein essor. Elles marquent aussi sa propre place dans cette société (Emile Zola lui-même était venu pour le thé !), Léontine, sa femme française, pouvant montrer autant de grâce à se languir dans un bateau à rames que toute autre mie d’impressionniste. En s’intéressant à un autre sujet favori du mouvement, De Nittis a craché sa part de fumée de locomotive, tout particulièrement dans Le train passe (1869) et Les passages de train (1884).

La reconnaissance, une fois de plus

Dans l’ambiance compétitive du monde artistique parisien, De Nittis comptait rivaux et amis. Une fois au moins, Claude Monet et Pierre-Auguste Renoir ont retiré leurs peintures d’une exposition en apprenant que De Nittis y exposait aussi. (Monet a toutefois fini par faire machine arrière.) Il n’empêche, De Nittis est enterré au cimetière des artistes et poètes français, le Père-Lachaise, l’épitaphe sur sa tombe ayant été écrite par Alexandre Dumas fils : « Ici repose le peintre Joseph De Nittis/Mort à trente-huit ans/En pleine jeunesse/En pleine gloire/Comme les héros et les demi-dieux. »

A la mort de son mari, Léontine De Nittis a fait don d’un nombre conséquent de ses toiles à la ville de Barletta à la condition qu’aucune ne devrait jamais être ni vendue ni donnée. Se faisant, elle a contribué à garder intacte une impressionnante collection, mais a limité plus encore leur présence méritée dans le monde de l’art. La Phillips Collection ne possédait aucune peinture signée De Nittis dans sa collection permanente. Aussi, sur les 60 tableaux de l’artiste italien qu’elle expose actuellement, 32 sont des prêts de la Pinacoteca et les autres proviennent d’institutions comme le Louvre ou le Philadelphia Museum of Art, ainsi que de quelques propriétaires privés.

Après l’exposition de 2010-2011 au Petit Palais – la première consacrée à De Nittis à Paris depuis 1886 –, la Phillips Collection offre à son tour un cadre distingué, en vue, à un artiste depuis trop longtemps ignoré, contribuant à sa réhabilitation. Renato Miracco souligne d’ailleurs combien An Italian Impressionist in Paris « ancre De Nittis comme une importante pièce qui manquait pour comprendre l’impressionnisme ».


An Italian Impressionist in Paris: Giuseppe De Nittis, à la Phillips Collection de Washington jusqu’au 12 février 2023.


Article publié dans le numéro de janvier 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.