« Mon fils a été surpris le jour de la rentrée : tous les élèves utilisaient un crayon à papier plutôt qu’un stylo », se souvient Caroline Diène-Ménard. Cette mère française est arrivée à New York en mai, son aîné vient de rentrer en quatrième dans une école publique du Queens. Sur sa liste de fournitures : un jeu de surligneurs, des stylos-billes et un paquet de douze crayons à papier.
Le stylo-plume incarne l’éducation et le raffinement à la française, mais c’est au crayon de bois que se fait la classe américaine. « Le crayon à papier est l’outil standard des écoliers américains depuis le début du XXe siècle », explique Caroline Waever, auteure d’une histoire du crayon à papier aux Etats-Unis et propriétaire d’une boutique spécialisée à Manhattan. Dans les années 1950, vingt-trois fabricants contrôlaient le marché américain. Ils ne sont plus que trois aujourd’hui.
De couleur jaune et verte, le modèle HB2 de la marque Dixon Ticonderoga est le crayon le plus populaire. Il accompagne les jeunes Américains de l’école primaire à l’université. Sa mine de graphite tendre laisse sur le papier une trace suffisamment sombre pour être repérée par les machines de correction automatique, utilisées aux Etats-Unis depuis les années 1930 pour noter les questionnaires à choix multiples. Les élèves et les enseignants apprécient la gomme de caoutchouc qui termine le crayon.
« La gomme permet à l’enfant d’effacer plus facilement ses erreurs », explique Sonia Gmar, institutrice en classe de CM2 au Lycée International de Los Angeles. « Les élèves peuvent recommencer sans contrainte, mais il ne reste aucune trace de l’erreur. En France, où l’on accorde beaucoup d’importance à l’erreur, les élèves apprennent à analyser leurs fautes pour ne pas les reproduire. »
La résistance du stylo-plume
La majorité des écoles francophones aux Etats-Unis utilisent des crayons à papier, mais une poignée d’établissements privés fait de la résistance. C’est le cas de l’Ecole Française de Detroit, où le stylo-plume est requis à partir du CE2, du Lycée Français de Chicago ou encore de la French-American School of New York (FASNY).
« Il n’existe pas de directive ministérielle sur les outils scripteurs : chaque enseignant est libre de choisir l’outil qu’il utilisera avec ses élèves », explique Damien Armengaud, responsable pédagogique des classes de CP, CE1 et CE2 au Lycée Français de New York. L’apprentissage de l’écriture se fait généralement à l’aide d’un crayon à papier : il est léger et requiert peu d’effort pour laisser une trace sur le papier. Une fois que les enfants ont automatisé le geste, ils passent au stylo. « Nos élèves écrivent le plus souvent à l’aide d’un stylo-bille effaçable », précise Damien Armengaud. Plusieurs enseignants, toutefois, ont commandé des stylos-plumes pour leur classe.
Au Lycée International de Los Angeles, Sonia Gmar insiste pour que sa classe de CM2 écrive à la plume. Pour elle, c’est une question de tradition, de soin et de respect. « La tenue d’un stylo-plume est plus exigeante que celle d’un stylo-bille : cela oblige les élèves à s’appliquer lorsqu’ils écrivent dans leur cahier. Ecrire au stylo-plume rattache par ailleurs nos élèves à la culture et aux traditions françaises. »
Certains parents préfèrent eux aussi que leurs enfants écrivent à la plume. Vanessa Mellier, installée à Campbell en Californie depuis trois ans, enseigne le français à ses deux filles qui sont inscrites dans une école américaine. Elles font leurs devoirs au stylo-plume dans un cahier français : « C’est beaucoup plus joli ». A Breckenridge dans le Colorado, Joëlle Miller scolarise ses deux enfants à domicile. Ce sont eux qui ont choisi d’écrire au stylo-plume. « Ils trouvent cela plus propre et surtout très cool », explique-t-elle. « On achète les stylos et les cartouches d’encre sur Amazon ! »
Grosses lignes contre gros carreaux
De la France aux Etats-Unis, la qualité du papier varie également. Les petits Américains écrivent leurs leçons dans des cahiers à spirale. Les pages de papier grossier sont fines, presque transparentes et rayées de lignes simples. Leurs camarades français utilisent des cahiers aux pages plus épaisses et quadrillées de lignes verticales et horizontales. La réglure dite « Seyès », du nom du papetier Jean-Alexandre Seyès, est la référence des écoles françaises depuis le début du XXe siècle.
C’est ce papier qu’utilisent les Lycées Français aux Etats-Unis. Chaque carreau de 8 millimètres de côté est découpé horizontalement en quatre espaces de 2 millimètres de haut. Les lignes et interlignes ainsi formées servent de support à l’écriture cursive. « C’est une écriture très normée qui remonte à la tradition de la plume, mais c’est aussi un outil pédagogique », explique Damien Armengaud au Lycée Français de New York. « Ecrire à la main permet d’associer chaque lettre, chaque mot à un geste et de fixer les apprentissages de la lecture. »
Les enseignants français sont très attachés à la présentation et au soin. Certains font même vérifier les cahiers par les parents ! L’approche est différente aux Etats-Unis, où l’accent est mis sur l’expression davantage que sur la présentation du résultat. « Les cahiers français sont généralement plus propres que les cahiers américains », observe Sonia Gmar. « Les élèves américains peuvent écrire n’importe comment, au crayon à papier et même en lettres capitales. » Au grand dam de certains parents expatriés. Dans le Michigan, une Française se plaint que ses deux enfants, inscrits dans une école primaire américaine, écrivent comme des « gorets ». Elle aimerait que leur écriture soit « moins fantaisiste et plus lisible ».