Les querelles commerciales franco-américaines (2/5) : les roqueforts de la colère

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L’histoire franco-américaine est ponctuée de conflits commerciaux et diplomatiques, de la « chicken war » dans les années 1960 aux récentes annonces de Donald Trump sur la taxation des importations d’acier et d’aluminium européens. De boycotts en mesures protectionnistes, illustration de ces conflits en cinq épisodes retraçant l’histoire des produits interdits.


Episode 2 : Bœuf aux hormones vs. roquefort

En 1988, sous la pression de l’opinion publique, l’Union Européenne interdisait l’importation de viande bovine issue d’animaux ayant reçu des hormones de croissance. Directement touchés par cette mesure, le Canada et les Etats-Unis ont mis en place des mesures de représailles. Le bras de fer qui s’engagea, « une bataille de nourriture parfaitement désordonnée » selon le Guardian, plane toujours comme une menace sur les relations transatlantiques.

Embargo sur la viande aux hormones

En 1996, les Etats-Unis et le Canada portent plainte auprès de la Commission de règlement des différends de l’OMC, à peine créée. Leurs exportations de bœuf vers l’Europe (11 500 tonnes par an) sont stoppées net. L’UE est condamnée mais ne lève pas l’interdiction. Au contraire, elle argue de raisons sanitaires et du principe de précaution pour la santé des consommateurs de viande.

En réaction, l’administration Clinton taxe le roquefort français à 100% de son prix. A partir de 1999, une soixantaine d’autres produits européens voient leur prix doubler : l’échalote, le foie gras, les truffes et la moutarde françaises, l’eau pétillante italienne, l’avoine irlandaise et le jus de raisin. Le montant annuel des droits de douane s’élève à 116,8 millions de dollars américains et 11,3 millions de dollars canadiens.

Cette « vengeance » est légale et prévue par les accords commerciaux internationaux, explique Cécile Bellagio, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). « Le droit économique moderne prévoit plusieurs outils de défense commerciale pour toucher un partenaire donné qui vous fait du tort de manière illégale ». Ces mesures « de représailles » permettent d’imposer des droits élevés sur des produits importés. « Tout s’est fait selon les règles de l’OMC ! »

De la destruction à la réconciliation

Ni les fromagers aveyronnais, ni la Confédération paysanne ne l’entendent de cette oreille. Menés par l’agriculteur et politicien José Bové, ils démontent le restaurant McDonald’s en construction à Millau, symbole selon eux de la « malbouffe » et du capitalisme. La même année, le militant altermondialiste se rend au sommet de l’OMC à Seattle et ravit les médias américains en organisant une distribution sauvage de roquefort.

La bataille continue jusqu’à la fin du mandat de George W. Bush. En janvier 2009, la représentante des Etats-Unis pour le commerce extérieur annonce que le roquefort et les truffes seront désormais taxés à 300% de leur prix. Une manière de faire pression sur l’Union Européenne, qui refuse toujours de lever l’interdiction sur la viande bovine hormonée.

Les exportations de roquefort vers les Etats-Unis représentent alors 400 tonnes de fromage par an. L’élection présidentielle apporte l’espoir d’une réconciliation : le président de la région Midi-Pyrénées envoie un coffret de fromage de brebis à Barack Obama pour son investiture.

Le 6 mai 2009, un accord est finalement signé : les taxes douanières sur le roquefort et la moutarde sont levées (celles sur le foie gras ne varient pas). L’Europe s’engage en échange à augmenter les quotas de bœuf américain non traité et élevé dans de bonnes conditions à 20 000, puis 45 000 tonnes par an. On trouve à nouveau du roquefort dans les supermarchés américains, à 56 dollars le kilo (contre 36 euros en France).