Histoire

Louis de La Couldre, héros français de la révolution américaine

Avocat français à New York, Anthony Lacoudre a récemment fait dans son arbre généalogique une surprenante découverte : un lointain aïeul, officier de la marine royale pendant la guerre d’indépendance américaine, récompensé par George Washington ! Au prix de longues recherches, il est parvenu à reconstituer la vie rocambolesque de Louis de La Couldre, comte de La Bretonnière.
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Robert Lefèvre, Portrait du comte Couldre de La Bretonnière. © Cherbourg-en-Cotentin – Musée Thomas Henry

France-Amérique : Connaissiez-vous l’existence de votre ancêtre avant de vous installer aux Etats-Unis ?

Anthony Lacoudre : Non, pas du tout. J’ai découvert son nom quelques années après mon arrivée en 2004, en consultant par hasard la liste des membres de la société des Cincinnati. Il s’agit d’un ordre patriotique américain très prestigieux de ce côté-ci de l’Atlantique, fondé en 1783 pour reconnaître les officiers qui se sont distingués pendant la guerre d’indépendance. J’ai été surpris de constater qu’un Louis de La Couldre (1741-1809) y côtoie le marquis de Lafayette, le comte de Rochambeau et le général George Washington.

Ce Louis fait-il partie de votre famille ?

Ce n’est pas évident puisque nos noms ne sont pas strictement identiques. Mais nos familles sont toutes deux issues de Normandie et notre nom – qui vient du mot « la coudre », la noisette ou le noisetier en ancien français – s’écrivait indifféremment, selon les sources et les époques, La Coudre, La Coudres, La Couldre, Lacouldre ou Lacoudre. Pendant sa retraite, mon père a effectué un exceptionnel travail de recherche en remontant nos ancêtres en ligne directe jusqu’à un certain Claude La Coudre, né en 1626 et décédé en 1681 dans le village de Coudres, dans l’Eure. J’ai eu beau engager les services d’un généalogiste professionnel par la suite, il n’a pas été possible de remonter au-delà. Mais cela est suffisant pour lancer une recherche collatérale afin de trouver un éventuel croisement entre nos deux branches. Ce travail est en cours.

Qu’avez-vous appris au sujet de Louis de La Couldre ?

Louis est né en juillet 1741 au château de La Bretonnière, dans la commune de Marchésieux, dans l’actuel département de la Manche. Il appartient à l’ancienne noblesse de la Basse-Normandie. Il s’engage dans la marine royale à 14 ans, est fait officier deux ans plus tard et participe à la guerre de Sept Ans (1756-1763). De retour en Normandie, il est chargé en 1776 par le duc d’Harcourt, gouverneur de la Normandie, et Pierre André de Suffren, lieutenant général des armées navales, d’inspecter les côtes de la Manche pour y édifier un port militaire. Il préconisera Cherbourg, face à l’Angleterre, et concevra le projet de protection de la rade.

Projet interrompu par la guerre d’indépendance des Etats-Unis…

Exactement. On le retrouve en 1779, lieutenant de vaisseau à la tête de l’Aigrette, une frégate de 40 mètres de long, armée de 30 canons. En partance pour l’Amérique, le 18 mars, elle est prise en chasse par la frégate anglaise Arethusa au large d’Ouessant. L’Aigrette riposte et après une violente canonnade de deux heures, le vaisseau ennemi est contraint de cesser le combat : désemparé, il s’écrasera sur les récifs de l’île de Molène. Louis prend ensuite le commandement de la Tourterelle, une frégate de 32 canons, déplaçant 150 tonnes, d’une longueur de 43 mètres. A la tête d’un équipage de 260 marins, il convoie vers Boston des navires français et américains transportant du matériel militaire. Il partira ensuite en mission dans les Caraïbes, sera nommé en 1780 au grade de capitaine de vaisseau – le plus élevé au sein des officiers de la marine – et restera sur le sol américain jusqu’à la fin de la guerre d’indépendance en 1783.

Quand a-t-il rejoint la société des Cincinnati ?

Je ne connais pas la date exacte, mais le 1er février 1784, il adresse à George Washington une lettre lui présentant ses états de service, aujourd’hui conservée sur microfilm aux archives nationales. A la troisième personne, il y détaille comment « il a d’abord escorté un convoi de douze bâtiments américains et plusieurs bâtiments français chargés de munitions et d’officiers ». Arrivé à Boston, il fait ensuite voile pour « Saint-Domingue [Haïti], d’où il escorta au mois de juin 1780 un second convoi de bâtiments américains jusqu’aux Bermudes, où il s’empara de deux corsaires anglais, la Bellone de 28 canons et l’Ambuscade de 18, et de deux prises qu’ils avaient faites ». Des faits d’armes, confirmés par le comte de Barras dans une autre lettre à Washington, qui lui vaudront d’être accepté dans l’ordre de Cincinnati pour « ses services rendus au commerce des Etats-Unis ».

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Le vaisseau de ligne Languedoc approchant les côtes américaines, le 7 juillet 1778. Une commande de la Marine nationale au peintre breton Cartahu, membre de l’Académie des arts et sciences de la mer, cette toile achevée en 2017 est exposée dans le carré des officiers de la frégate anti-sous-marine Languedoc. © Cartahu

Au cours de vos recherches, vous avez découvert qu’un ancêtre de votre épouse a lui aussi été officier de marine pendant la révolution américaine et a lui aussi reçu la médaille de Cincinnati…

Une coïncidence extraordinaire ! Qui plus est, ils sont tous les deux normands : je suis persuadé qu’ils se connaissaient. Georges-René Le Pelley, seigneur de Pléville (1726-1805), s’engage comme mousse dans la marine marchande à l’âge de 13 ans. Cinq ans plus tard, en 1744, un boulet anglais emporte sa jambe droite : on le surnommera désormais « le corsaire à la jambe de bois » ! En avril 1778, après une série de voyages rocambolesques en Amérique du Nord et dans les Antilles, il rejoint à Toulon l’escadre du comte d’Estaing, composée de douze vaisseaux de ligne et de cinq frégates, pour aller prêter main forte aux insurgés américains. Lors du blocus de Newport cet été-là, il commande le Languedoc, un bâtiment de 60 mètres de long, équipé de 80 canons – le plus beau navire de la flotte ! Il participe ensuite au siège de Savannah en septembre 1779, avant d’être nommé intendant général de l’escadre, à Boston. Grièvement blessé lors d’une émeute qui éclate dans d’étranges circonstances, il rentre en France à la fin de l’année. Il sera l’un des premiers officiers français à devenir membre de l’ordre de Cincinnati en 1783.

Qu’est-il advenu de votre ancêtre après son propre retour en France ?

Louis de La Couldre prend le commandement de la marine à Cherbourg et poursuit la construction de la rade militaire. En 1786, il accueille le roi Louis XVI, venu assister à la progression des travaux ! Par décret de ce dernier, il devient comte en 1787 et intègre l’ordre royal et militaire de Saint-Louis avec le rang de chevalier. A la Révolution, il est emprisonné pendant seize jours, mais son engagement pour la cause révolutionnaire américaine le sauve. On lui propose de réintégrer la marine comme simple matelot : sur intervention de Napoléon Bonaparte, alors premier consul, il retrouve son grade de capitaine de vaisseau avant d’être nommé chef militaire de Boulogne et de Dunkerque. Mais malade, il démissionne en 1804. La même année, il est fait chevalier, puis officier, de la Légion d’honneur.

Quelles traces Louis de La Couldre a-t-il laissé ?

Aux Etats-Unis, sa lettre à George Washington est visible dans les archives de la société des Cincinnati, dans la capitale fédérale. Mais en France, malgré sa vie fascinante, personne ne se souvient de ce personnage qui n’a jamais jouit d’un statut d’envergure nationale. Une notable exception se situe à Cherbourg : le port de commerce et le port militaire qu’il a créé sont flanqués par la rue de la Bretonnière et le boulevard de la Bretonnière et son portrait, réalisé par le peintre Robert Lefèvre à la fin du XVIIIe siècle, est conservé au musée des beaux-arts de la ville !