Quel locuteur du français n’emploie-t-il pas régulièrement des formules telles que « froid de canard », « faim de loup », « poule mouillée », « ours mal léché », « tête de cochon », « larmes de crocodile », « langue de vipère », « puce à l’oreille » ou encore « miroir aux alouettes » ? Parce qu’il est, depuis sa domestication il y a quelque 5 000 ans, le plus proche compagnon de l’homme (avec le chien et, parfois, le chat), le cheval a alimenté une partie importante de ce bestiaire. Dans la culture occidentale, les valeurs symboliques du cheval sont moins puissantes que celles d’autres animaux comme le chat, l’âne, le loup ou le renard, qui incarnent l’adresse et la sensualité pour le premier, la stupidité, la brutalité, la ruse pour les autres. Il suffit de relire les fables de La Fontaine pour se le rappeler.
A « la plus noble conquête que l’homme ait jamais faite », selon la célèbre phrase de Buffon, sont souvent associées des images positives telles la robustesse et l’abnégation. On les retrouve dans « fièvre de cheval » ou « remède de cheval », alors que le « cheval de labour » est un homme infatigable. Les comparaisons sont parfois moins flatteuses. « Un cheval de carrosse » est un grossier personnage. On parle de « grand cheval » pour railler une femme peu féminine et de « cheval de retour » pour fustiger une personne, un homme politique le plus souvent, qui a fait son temps mais ne se résout pas à passer la main.
Plus que les traits de l’animal lui-même, c’est son utilisation qui a engendré le plus grand nombre d’expressions : « cheval de bataille », « travailler comme un cheval », « être à cheval sur (les principes, le service…) », « monter sur ses grands chevaux », ces derniers étant, dans la société féodale, les destriers qu’enfourchaient les seigneurs pour aller guerroyer.
L’anglais, bien sûr, a son lot d’expressions du même type. Parmi les plus courantes, « To be as strong as a horse », dont le pendant français est « ëtre fort comme un bœuf », et « straight from the horse’s mouth » (directement de la bouche du cheval), une manière de dire que l’on sait quelque chose d’une source sûre. « That’s a horse of a different color » est l’équivalent outre-Manche et outre-Atlantique de « c’est une autre paire de manches ». Les anglophones disent aussi « I could eat a horse » et « he eats like a horse », quand, en français, on dit « j’ai une faim de loup » et « il a un bon coup de fourchette ».
Aux Etats-Unis, au moment des élections, on entend parfois parler de « dark horse ». Il s’agit d’un candidat qui sort de l’ombre, donc peu connu du grand public. Encore ne faut-il pas s’arrêter au seul mot cheval pour mesurer la richesse du lexique français en la matière. « Prendre le mors aux dents », « ronger son frein », « courir à bride abattue », « laisser la bride sur le cou », « faire cavalier seul », « tirer à hue et à dia », « ménager sa monture », « être mis à pied », « à tout crin »… sont autant d’expressions liées au monde équestre.
Ces dernières sont explicites. Ce n’est pas toujours le cas. Pour comprendre le vrai sens de « ne pas être dans son assiette », on doit se souvenir qu’avant de désigner la vaisselle dans laquelle on sert la nourriture, l’assiette signifiait la manière d’être posé. Ne parle-t-on pas aujourd’hui encore de la « bonne assiette d’un cavalier » ? « Prendre ombrage » vient aussi du cheval, animal soupçonneux qu’un rien effraie, y compris une ombre. « Se mettre à poil » n’est rien d’autre qu’une variation de « à cru », une façon de monter sans selle ni couverture. Plus étonnante encore est l’origine de « en moins de deux », expression utilisée pour signifier que l’on réalise quelque chose rapidement : autrefois, pour qu’un trotteur puisse entamer une carrière aux courses, il fallait qu’il coure deux mille mètres en moins de deux minutes.
On le sait, les mots et les locutions naissent, vivent, meurent. Une expression comme « à cheval donné on ne regarde pas la bouche » (il ne faut pas être exigeant quand on vous fait un cadeau) évoque un univers où le cheval est un élément essentiel de la vie quotidienne. Cet univers est du passé, l’expression aussi.