Le 7 janvier 2015, deux hommes armés de fusils d’assaut sont entrés dans les locaux de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et ont ouvert le feu sur les journalistes et dessinateurs réunis en conférence de rédaction. Douze personnes sont mortes dans la tuerie et onze ont été blessées, dont quatre grièvement. Critique culturel au quotidien Libération et chroniqueur à Charlie depuis 2004, Philippe Lançon a été atteint aux mains et défiguré par une balle dans la mâchoire. Paru en France en avril 2018, Le Lambeau s’ouvre le 6 janvier 2015 et s’achève le 13 novembre de la même année, le jour de l’attentat à la salle de concert du Bataclan que Philippe Lançon apprend tandis qu’il marche dans les rues de New York avec Gabriela, sa compagne américaine. Avec un courage et une honnêteté bouleversants, il fait le récit de ces huit mois qui ont modifié tout son être.
« L’attentat s’infiltre dans les cœurs qu’il a mordus, mais on ne l’apprivoise pas », écrit Philippe Lançon. « Il irradie autour des victimes par cercles concentriques et, dans des atmosphères souvent pathétiques, il les multiplie. » La veille du massacre, le journaliste assistait à une représentation de La Nuit des rois de Shakespeare, dans un théâtre de banlieue. Le matin du 7 janvier, après avoir fait de la gymnastique et entendu à la radio Michel Houellebecq parler de son roman Soumission, qui imagine une France gouvernée par un parti islamiste, il prend, à vélo, le chemin pour se rendre au siège du journal Charlie Hebdo. Quelques heures plus tard, il en ressort pour l’hôpital public de la Pitié-Salpêtrière où il subira de multiples opérations, ne pourra ni parler ni manger pendant d’interminables semaines, affrontera les moments de découragement total, épaulé par ses proches et des soignants débordés mais profondément humains.
En langage chirurgical, un lambeau est un morceau de chair qui sert à recouvrir les parties osseuses. Consignant jour après jour les étapes de sa reconstruction, Philippe Lançon n’épargne aucun détail du « combat mental et chirurgical » qui mobilise toutes ses forces. Comme le narrateur proustien, il laisse advenir ses souvenirs depuis sa chambre d’hôpital, son seul horizon, confrontant l’homme d’avant et celui qu’il est en train de devenir. Odyssée intime qui croise l’histoire collective, Le Lambeau est un grand livre, dont la lecture bouleverse durablement.
Le Lambeau de Philippe Lançon, Gallimard, 2018. 512 pages, 19,99 euros.
Article publié dans le numéro de janvier 2020 de France-Amérique. S’abonner au magazine.